Lynda D’Alexis et Khris Burton, deux jeunes réalisateurs, ont lancé leur société de production « Darers Films » voilà un an. Animés par une certaine audace, ils ont pour ambition de rassembler les talents d’ici et de faire résonner le cinéma antillais dans le paysage international. On les a croisés, eux, leurs envies, leurs débuts, leurs souhaits…
Qu’est ce que vous avez filmé la première fois que vous avez pris une caméra en main ?
Khris : Sérieusement ? J’ai acheté ma première caméra pour filmer la naissance de ma fille, c’est mon tout premier film ! Et la caméra, c’était une Sony qui a d’ailleurs servi à tourner ma première vidéo…
Lynda : C’était une petit caméra de « touriste », ahah ! Je rendais visite à ma chère grand-mère lorsque j’ai eu un déclic en lui posant cette question toute simple : « Raconte-moi comment c’était à ton époque ? ». Assise là à l’écouter, j’ai commencé à filmer. A 98 ans, elle m’a raconté la vie d’antan, son histoire, son parcours. Une vidéo-portrait d’une dizaine de minutes, mais un vaste regard sur l’histoire de la Guadeloupe…
Où avez-vous appris ce que vous faites aujourd’hui ?
J’ai fait l’ESRA, l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle à Paris d’où je suis sorti en 2003. J’y ai appris les bases de la réalisation. Ca m’a bien servi pour tourner mes premiers clips vidéo (Paille/Byron, Bamboolaz…) qui ont révélé que je scénarisais tout ce que je tournais. Une constatation qui m’a encouragé à raconter des histoires.
Mon métier, je l’ai appris un peu à l’école et beaucoup sur le tas. Comme Khris, j’ai fait des études de cinéma à l’ESRA (École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle), un enseignement pratique et théorique, d’abord pluridisciplinaire, ensuite, spécialisé en production. Une option qui m’a bien préparée à mon travail actuel. Parallèlement, je tournais aussi pour me familiariser avec le terrain. Petit à petit et dans plusieurs boîtes de production, j’ai acquis une certaine expérience et la confiance dans mon travail.
Qu’est ce (ou qui) qui vous a poussé à réaliser des films ?
C’est un film qui m’a poussé à réaliser des films : Racines (film et série), m’a vraiment marqué et m’a incité à écrire, à raconter des histoires pour le cinéma. Musicalement parlant, c’est Fred Marie-Sainte, un héros underground qui aide les jeunes à monter des sons, qui m’a transmis le virus. Un jour alors qu’on jouait, il a proposé de nous filmer. Dans son studio, ensuite, j’ai vu les rushs et j’ai eu un déclic : faire des clips ! Voilà, j’étais déjà mordu !
Mes défis m’ont poussée à réaliser les films et mon parcours assez atypique en est la meilleure preuve. Juste après un bac S, j’ai suivi les cours de kinésithérapie… que j’ai abandonnés pour une formation d’ingénieur du son en studio. A l’époque, j’ai eu l’opportunité de bosser avec Soprano et d’autres artistes plus ou moins connus. Afin de poursuivre dans cette voie, et réaliser des clips, je suis rentrée à l’ESRA. J’y ai découvert le cinéma. Je me suis alors passionnée pour l’écriture, la réalisation, la production (d’abord des courts maintenant des longs), et les défis se sont enchaînés ! Aujourd’hui, je ne veux surtout pas m’arrêter !
Quel genre cinématographique affectionnez-vous particulièrement ?
Je pense ne pas (déjà) avoir une prédilection pour un genre … mais j’affectionne le mystère, les puzzles, le suspense, le thriller psy… Avec un dénominateur commun : la relation humaine, les histoires entre hommes/femmes et les émotions. En fait, je pense être un grand romantique.
J’adore les films quasi documentaires, dans le genre dramatique.
En vous associant dans Darers, que recherchiez-vous qui vous manquait ?
Une complémentarité. Je suis un technicien et Lynda une vraie productrice. Notre binôme fonctionne parfaitement grâce à une réelle répartition des tâches et une même détermination. Ensemble, on est très efficaces. En captant immédiatement ce qu’on attend de nous, on gagne du temps. Le chemin parcouru par Darers en un an est impressionnant … Participation à trois festivals, signatures de campagnes de pub, installation des bureaux, tout se concrétise et avance très vite.
Dans un premier temps, il me manquait « la structure » pour produire mes projets. Lorsque j’ai rencontré Khris, il s’est avéré l’associé adéquat dans la mesure où nous partageons les mêmes idées, les mêmes objectifs et que nous sommes quasi interchangeables. Cette similitude (et une certaine complémentarité) permet de nous organiser pour optimiser nos productions. Si Khris est plus calé en technique, j’assure mieux la prod. C’est parfait pour se répartir les rôles et tellement agréable de travailler en symbiose.
Quelle qualité trouvez-vous à votre associé ?
Sa détermination ! On s’entend parfaitement. Dès qu’on a déterminé ce qu’il fallait faire sur un projet, on ne doit même plus se parler, on est sur la même longueur d’ondes.
Sa curiosité, sa rigueur, son perfectionnisme, sa détermination et, bien sûr, son sens de l’humour.
Votre rêve en tant que réalisateur (trice) ?
Mmmm ! Que chaque année, deux films antillais (intégralement estampillés Antilles) sortent en salle chez nous et dans la Caraïbe. J’aimerais qu’en arrivant ici à l’aéroport, on tombe immédiatement sur une affiche de film de chez nous. Et qu’il serait inconcevable de ne pas le voir…
Mon rêve ? Pouvoir sortir des films ici aux Antilles et dans la Caraïbe qui rencontrent un succès à l’international pour faire briller notre culture au-delà de nos frontières.
Comment s’y prendre pour rassembler et faire émerger les talents caribéens ?
Il faut s’entourer de gens comme nous, audacieux et ambitieux ! Semer des envies, inspirer, en poussant les cloisons, en bousculant les codes. Ainsi, on réussit à affirmer qui on est ! Je pense qu’il faut aller à fond, crier très fort et très haut qui on est, comment on est et ce qu’on veut. D’ailleurs, plusieurs associations cinématographiques viennent de voir le jour. On a l’impression qu’il s’agit d’un écho à notre énergie commune. Ca fait du bien de voir que ça bouge de ce côté et qu’on porte les drapeaux du film néo-caribéen !
Tout d’abord, par le biais des festivals de films qui permettent de rassembler les amoureux et les professionnels du cinéma. On y fait de très belles rencontres et d’innombrables découvertes : les œuvres sont des cartes de visite qui permettent d’entrevoir, de nouer de futures collaborations. Au festival de Trinidad et Tobago, nous avons fait la rencontre d’une scénariste-réalisatrice très talentueuse avec qui nous projetons de travailler. Et comme j’aime le souligner, « seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin ». Pour moi, créer des connexions inter-caribéennes représente la première étape vers notre émergence.
Faut-il faire une différence entre le cinéma caribéen et antillais ?
Pour moi, le « cinéma antillais » (long métrage) sent le compromis, le cliché, il reste catalogué. Si on fait la somme des films antillais, ils ne reflètent pas du tout notre réalité. Il reste consensuel… Plus francs, les formats courts traduisent mieux notre identité.
Alors que le cinéma caribéen s’avère plus authentique, sans formatage, sans passage devant la commission (pour obtenir les financements), donc sans censure. Ca donne des réalisations plus touchantes, plus vraies, sans compromis. C’est dans cette direction que j’aimerais m’orienter.
Pour moi, ce sont des cinémas assez proches, les Antillais sont des Caribéens. La seule différence résiderait dans la langue… Il existe un créole/un patois pour chacune des îles. Au final, quand on observe le paysage cinématographique caribéen et antillais, on se retrouve face à des sujets et des histoires qui se ressemblent !
Pourquoi choisir le format (très) court ?
Je suis un peu hyperactif et je m’ennuie vite… Bref, avec moi, il faut en venir vite au fait. En tant que spectateur, je déteste pressentir l’issue d’une intrigue. Du coup, quand je réalise, il ne faut pas que ça traîne. Un peu comme la pub … Faire passer l’idée en quelques dizaines de secondes, c’est un challenge ! Direct to the point, c’est ma méthode !
Je laisse cette question à Khris, puisque je n’ai jamais sorti de film de une minute. Hors publicité bien sûr …
Qui est votre réalisateur (ou film) préféré ?
Actuellement, celui qui m’excite les méninges, c’est Christopher Nolan. Il se balade dans les méandres du cerveau et sa façon « destroy » de tourner me passionne !
Xavier Dolan. Il est jeune, talentueux, très ambitieux et surtout audacieux dans ses choix et dans la façon dont il traite ses sujets.
Quel est votre plus beau souvenir de tournage ?
Ca s’est passé lors du repérage de SO.CI3.TY … A 7 h du matin, j’étais seul sur la plage d’anse Couleuvre au Prêcheur et là, dans mon viseur, à 150 mètres, apparaît un homme sorti de nulle part, qui me fixe silencieusement. Oups ! Qui est-ce ? Dix questionnements et des sueurs plus tard, n’écoutant que mon instinct, j’ ai osé m’approcher de lui, jusqu’à ce que je lise un sourire d’accueil dans ses yeux. Il m’a accueilli dans « son » anse, son antre… Toute la journée, il m’a guidé à travers la forêt vierge, m’apprenant comment allumer un feu, trouver à manger, repérer les coins à serpents… Mystique ! Connecté à la nature, Saint-Juste (c’est son nom) est devenu mon conseiller technique sur le film et a participé au tournage avec l’équipe. Depuis des années, il vit là, volontairement éloigné de la civilisation. Un souvenir géant !
Mon plus beau souvenir reste le dressage du petit cochon pour le tournage de mon court-métrage RICO. Matthis, le jeune acteur, et moi, nous le promenions dans les rues, sur la plage, à la rivière…partout ! Matthis a réussi à apprivoiser RICO en moins de deux mois, juste avant le tournage. Leur complicité était palpable, bien réelle tant dans la vraie vie que dans la fiction.
Quel est le dernier film que vous avez vu au cinéma ?
Féfé Limbé de Julien Silloray, lauréat du Prix de Court cette année.
King Kong