Palais Royal, Fondation Louis Vuitton ou Biennale de Venise : les collections privées et publiques du monde entier réclament ses œuvres. Après avoir vandalisé les rames du métro parisien, le graffiteur pointois explore d’autres supports que l’espace urbain, déployant un art contemporain qui, toujours, vise à l’émancipation sociale et culturelle de l’individu.
Il naît à Pointe-à-Pitre en 1970 et s’y étoffe jusqu’à l’adolescence. Dans ses rues, il découvre les premières traces murales laissées par les indépendantistes dans les années 1980. Un mode d’expression, une revendication en toutes lettres « qui m’a ouvert sur mon histoire, mon présent et mon futur » se souvient-il.
Paris, 1983. Shuck One découvre la culture hip hop. « Je rallie le mouvement, adopte son médium, le graffiti. Je deviens « writer ». Nous vandalisons le plus de rames possible. » Son nom est omniprésent sur les lignes 2, 9 et 13, des lignes stratégiques du métro parisien, ce qui lui vaut rapidement le titre de « king of subway ». Dix ans de métro, de revendication et d’insouciance consacrent le chapitre le plus délirant de Shuck One.
Puis l’artiste mue et crée le groupe Basalt, collectif d’artistes propulsé référence française sur la scène européenne du graffiti. Le nom sur le béton gagne en épaisseur, les membres de Basalt le déclinent en bas relief, en free style, en 3D. C’est la période murale, la jubilation intérieure de voir son nom rester, du territoire urbain investi.
Dans les années 1990, sans renoncer au mur, Shuck One privilégie la toile. « Je comprends que j’intéresse le monde de l’art et les collectionneurs, car nos œuvres contiennent des messages, notre histoire, les maux de notre société.» Shuck One plonge dans l’art contemporain. Les lettres s’effacent au profit de l’abstraction alors que ses œuvres entrent dans les collections publiques et privées. Jusqu’à la Biennale de Venise qui, le mois prochain, le verra exposer dans les jardins de la fondation Thetis une sculpturale œuvre en verre de Murano : « Write me ».
La peinture de Shuck One n’en reste pas moins en prise avec des préoccupations humaines et sociales, un travail engagé dont l’œuvre majeure « L’histoire en marche » prend place au sein de la collection permanente du Mémorial ACTe.
Avec l’exposition Archipel Abstraction (du 27 avril au 13 mai à Galerie Nomade, à Jarry), Shuck One propose son regard sur l’île et la créolité. Regard d’un insulaire qui, ayant fait le choix de l’errance pour comprendre l’histoire de ceux qui jadis ont transformé son île, vit dans le tout-monde. « Le monde créole évite de parler d’un monde en noir et blanc. La notion de créolité, hors sa part de folklore, porte celle du vivre ensemble. Elle dit : l’histoire a été vécue, il faut rebâtir. Elle nous permet, avec une certaine sensualité, avec légèreté aussi, de reconstruire une relation pacifique durable. Or j’observe une quiétude dans nos sociétés insulaires que les peuples d’occident n’ont pas la chance d’avoir. L’insulaire peut-être apportera des pansements aux maux d’aujourd’hui, car il est riche de ses croisements culturels. »
Le dernier jour de son séjour guadeloupéen, Shuck One le passe auprès de « gamins de Pointe-à-Pitre, car je viens d’où ils sont, et je suis devenu acteur de ma propre vie. » Avec les associations Art on the road mais aussi Pli bel la ri (qui enjolive la ville à coup de jardins potagers et de peinture des façades), il crée une fresque en plein centre ville pointois, fidèle à ses valeurs. « Les habitants veulent reprendre leur quartier en main. L’art est activisme dans ce moment social, dans ce désir de redonner vie à la ville de Pointe-à-Pitre, qui a une âme. »