La malbouffe est au cœur d’une trilogie de la chorégraphe Christiane Emmanuel. Un spectacle coup de poing sur un sujet universel devenu un enjeu mondial.
Créée en 1989, la Compagnie Christiane Emmanuel inscrit sa ligne artistique dans un langage chorégraphique résolument contemporain et caribéen, avec l’idée qu’une chorégraphie contemporaine se doit d’être lisible par toutes et tous. Depuis 2010, la compagnie Christiane Emmanuel dirige la Maison Rouge : Maison des Arts, un centre socio-culturel dédié à la danse et la pratique chorégraphique expérimentale, situé dans les quartiers Terres de Sainville à Fort-de-France.
Manger. Il s’agissait d’un instinct primaire, nous en sommes aujourd’hui dépossédé. Tout à la fois sujet de santé publique, préoccupation populaire, spécialité médicale, objet d’étude pour les sociologues… la nourriture et comment nous la consommons constituent un thème à l’actualité brûlante sans
cesse renouvelée. A partir de cette action banale devenue complexe, la chorégraphe Christiane Emmanuel a conçu un spectacle de danse. Une trilogie précisément, née d’un questionnement autour de l’acte même de manger et de la malbouffe. Le second opus, « Je remets le couvert : Indigestion », déjà dansé sur la scène du Tropiques Atrium en 2017, et dernièrement à Saint Domingue, dans le cadre de la 14 ème édition du Festival de danse contemporaine Edanco, va être programmé en 2019 en Martinique, en France et probablement en Europe.
Si « manger » et son cortège de règles, d’interdictions, d’étiquettes, de promesses, de grammes et de pourcentages à déchiffrer désarme des consommateurs préoccupés, le spectacle virtuose de la chorégraphe emporte et captive le public. Derrière le rideau, trône une glacière blanche XXL et elle ne quittera plus la scène. Ils sont quatre danseurs, deux hommes et deux femmes, qui tour à tour vont s’en approcher, lui tourner autour, la séduire, la vider, se l’accaparer, la défendre, l’étreindre dans une chorégraphie animale, primitive et sensuelle. Devant nous, ils dansent et ils mangent, et ils mangent encore, sans retenue, jusqu’à s’en peindre le corps, jusqu’à en perdre la tête. La glacière boîte de Pandore offre sans compter, à qui une botte d’oignon péi, à qui des chipsters, un jambon beurre, un pot de Nutella… A chacun son aliment symbole, à chacun son plaisir dévorant.
La séduction, la sensualité se disputent avec la pulsion qui domine les corps. Jusqu’à un final absolument déjanté, en musique, l’apothéose sous forme d’une séance de coaching de gymnastique des années 80 où les corps, la nourriture et les crunchy au fromage volent, se dévorent, s’épuisent. La lutte est terminée, les corps et les esprits sont ruisselants, à bout. Dépossédés de notre instinct, la liberté est devenue trop grasse, trop sucrée, trop salée. Une question tristement universelle et un spectacle de danse libérateur.
Texte Mathieu Rached – Photos Wilfried Terreau