JayOne Ramier Rencontre 30 ans après, à Stalingrad.  

Difficile de soutenir le regard de JayOne. Peut-être parce que dans ses yeux, on trouverait bien trop à dire et à redire, alors, on se contente d’imaginer ce qu’il décèle. On écoute cette voix discrète qui porte en elle les indicibles couleurs d’un move, qui s’est fait l’aimant d’une génération.

On est ici à la croisée des chemins du Bronx River, on sent comme des airs de Downtown Manhattan qui envahissent la ruche bouillonnante de Paris, les terrains vagues et les nuits volées de la capitale. Aux trousses de la vie, des flics, des murs qu’il faut colorier en grand et des métros qui passent vite,

Ah, ce qu’on aimait la vitesse ! Le hip hop de l’époque à la Grandmaster Flash c’était une ouverture sur le monde, mais une façon de se retrouver aussi. Il y avait des mots à dire et on voulait les choisir. Alors on dansait, on suivait le mouvement, on le créait

JayOne Ramier se rappelle. Ses paupières clignent et son enfance passe aussi vite. Elle est moins chaude, ça sent moins la pelouse et l’air marin. A 6 ans, adieu pistaches grillées, bonjour la foule des rues grises, le rose et le bleu des magasins de Barbès et le marché de Belleville. Les années filent encore, en un claquement de doigts, l’apprenti est déjà artiste. On est en 1988, 22 étés au compteur et son nom « JayOne » est déjà encensé à Berlin, avec des références qu’il ne nomme pas encore, le bruissement des critiques artistiques et un tourbillon de questions qui l’étonnent, l’intriguent, l’agacent et le renvoient chez lui, le regard hagard. On ferme les yeux.

Trou noir. Il revient cinq années plus tard, pour s’exprimer, toujours en graff, avec le solvant de ses tubes d’acrylique et ceux remplis d’huiles. Mais cette fois-ci, c’est un autre fond sonore car l’exploration commence.

J’ai eu envie de mieux comprendre, d’aller plus loin, d’entrer dans des galeries. Ce n’était pas forcément évident car nous avions cette carapace en nous. Ce refus de l’académisme, ce refus du clinquant. On voulait dire et montrer notre différence

explique-t-il. Aussi étonnant que cela paraisse, « mes études débutent ici ». Dans les artères sombres, lumineuses et quelquefois confuses des musées du monde. Des musées building, mais aussi ceux à ciel ouvert, les urbains d’un autre univers qui auréolent, au fur et à mesure, les villes qui jaillissent. La reconnaissance est bien là. Il y a le Grand Palais, le Hangar 5 à Bordeaux pour Sigma, puis le Danemark, Tokyo et New-York. De la belle mondaine, mais surtout le merveilleux des rencontres dites « éphémères » qui marquent tout bonnement une vie. On ne sait pas à quel moment, le « Black Picasso » naît. Sans doute, lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas d’intention dans son travail et qu’il veut s’adresser, un peu et toujours, à celui qu’il a toujours été. A ce jeune homme de 22 ans, au milieu de ses installations flashy qui ne disait rien, si ce n’est le cri de ceux qui disent le monde, avec leurs bombes.

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