« Je ne retire rien de ce qui est douloureux ».
Son pinceau pour scalpel, son histoire pour seringue, ses ancêtres pour sondes, en image, Anaïs Verspan, peintre plasticienne guadeloupéenne opère à cœur ouvert. Cette chirurgienne des couleurs ranime les douleurs endormies pour mieux les cicatriser.
Il y a des évidences qui vous choisissent. Le dessin, la peinture l’ont choisi avant qu’elle ne le fasse. Ses premiers maux, ses premières paroles, Anaïs les exprimera en dessin. «J’ai été malade très tôt, avant même de pouvoir parler. Les crayons, les feutres, étaient mes premiers outils, offerts par ma mère, pour m’exprimer. J’ai pu dire « je suis » et communiquer avec les autres, grâce au dessin».

L’artiste en mutation
Si partir est une évidence pour certain, la Guadeloupéenne désire se former chez elle, dans les Caraïbes. « Je devais partir au Canada, mais j’ai choisi l’école d’art de Martinique, c’était la seule école caribéenne française ». Très vite, le premier choc. Qualifié de trop complexe par ses professeurs, son art ne correspond pas aux normes. « J’ai fais des études d’art, mais je suis une autodidacte. J’ai dû faire table rase de ce que j’avais appris pour proposer un art authentique. Les écoles d’art formatent les artistes».

Ordonnance d’être
« Il m’a fallu du temps pour me considérer comme une artiste. Etre artiste, c’est être vrai. Tu as une responsabilité, surtout dans un pays où les rapports et l’histoire sont faussés ». C’est avec violence, en se mettant à nu, qu’Anaïs apprend à accepter son rôle. « Je n’acceptais pas le regard des autres sur mes œuvres. J’en pleurais. Le chemin a été long et douloureux. Ce n’est que depuis 2013 que je me considère comme artiste professionnelle et que je vis de mon art.»
Thérapie sociale
A la question que disent tes œuvres ? Anaïs répond naturellement «elles sont Moi ». Un voyage au cœur de l’intimité du corps, de l’âme. Un soi qui dit également nous sommes. Alors l’art d’Anaïs dit aussi cela, ils parlent d’un tout. « Je parle de moi, je parle de mon pays, je parle de nous, de nos rapports, de notre société». Et si vous vous interroger sur la dimension politique de son art. La réponse est claire. «Mon art est politique au sens premier du terme. Mon rôle est d’interpeller grâce à mon esthétique».

Les cycles pour remède
Anaïs nous confie les difficultés d’être une femme dans le monde de l’art. « Donnes moi l’exemple d’un homme artiste qui a arrêté sa carrière parce qu’il est devenu papa ? Aucun. Notre société ne pense pas aux femmes, aux carrières des femmes. Il y a un vrai besoin de s’organiser en sororité ». Alors pour être, être pleinement, il lui fallait d’abord être chez elle. « Etre femme artiste guadeloupéenne, c’est avoir une tribu autour de soi, toute une organisation. C’est aussi pour cela que je suis rentrée».