Les djobeurs de la Toussaint

Qui sont ceux qui nettoient et embellissent les tombes les jours qui précèdent la Toussaint ? Notre rédaction est partie à la rencontre de Loyis, Joseph, Warren, Wesley et Philippe, ces djobeurs qui contribuent au maintien de nos traditions. – Texte et photos Willy Gassion 

L’image d’Epinal n’est plus, mais la tradition demeure. Que reste-t-il de l’anarchie jadis joyeuse ? Des gens : des hommes, des femmes, des enfants qui allaient et venaient, se frôlaient, se marchaient sur les pieds sans jamais s’entrechoquer.

Et que dire des marchandes ? Elles étaient là, alignées le long du mur blanc qui encercle les cimetières, elles étaient là comme les gardiennes de la tradition, des vigies indispensables autant actrices que metteuses en scène de ce qu’il se passait là devant nos yeux. Elles avaient dressé leurs étals de part et d’autre de l’entrée du cimetière, et ne vous hélaient même pas, certaines que leurs douceurs allaient se vendre seules sans aucune publicité.

Cette année, tout a changé sauf la présence des djobeurs aux vêtements maculés de peinture qui rivalisent de ruses pour vous vendre leurs services de nettoyage des tombes. Ça négocie sévère et le client a toujours raison. Il n’y a pas de petits profits aux temps troubles de la Covid. Tout est bon à prendre. 

« On est des djobeurs, quand il y a trop de boulot on en donne aux copains contre un petit pourboire, mais on s’occupe seuls des tombes de nos familles. » 

Loyis, Joseph, Warren, Wesley et Philippe sont avachis sur des marches devant le cimetière. Ils sont jeunes mais certains d’entre eux sont déjà des pros du nettoyage des tombes. « J’ai commencé en 2015, se vante Loyis 15 ans, on est là dès 6 heures pour choper les premiers clients qui arrivent à partir de 6h30. »

Des journées longues qui se terminent à 18 heures. « On ouvre et on ferme le cimetière, plaisante Warren, hier il y avait beaucoup de travail on a fait notre pause déjeuner à 17 heures. »

Trois femmes passent à proximité du groupe, elles se dirigent vers l’entrée du cimetière, Loyis qui a l’œil vif et qui ne doute de rien les siffle : « Chabine ! » Elles pressent le pas sans un regard. Les trois autres compères rigolent.

« On aime ce qu’on fait, je voudrais que ça ne se termine jamais », commente Joseph, masque en tissu madras sous la bouche. Certains clients nous disent : « Mettez votre masque, mais on étouffe avec le masque sous le soleil, on le met quand même pour ne pas avoir de problème. » 

Pingouin arrive, casquette rouge sur la tête, bermuda bleu et des traces de peinture blanche sur le visage, Loyis lui explique ce qu’ils font, Pingouin s’enthousiasme : « Moi aussi je veux faire une interview, combien on gagne ? » Ils rigolent, Loyis dit qu’il n’y a pas d’argent à se faire. Pingouin hausse les épaules, murmure un juron et se barre. « Il est nouveau, c’est sa première année on lui apprend le métier, il s’est fait voler son argent », explique Joseph sur un ton solennel.

Précisément en quoi consiste le métier ? « La peinture de la croix, du caveau ou de la tombe, le marquage du nom de la famille, le sable à poser, le nettoyage du caveau avec carreaux ou de la tombe, enlever les feuilles mortes, les fleurs fanées, et on fait tout ça sous le soleil, on est des djobeurs. Quand il y a trop de boulot on en donne aux copains contre un petit pourboire, mais on s’occupe seuls des tombes de nos familles. » 

« Cette année, « à cause de la crise sanitaire » les affaires sont moins florissantes. » 

Cette année, « à cause de la crise sanitaire » les affaires sont moins florissantes. « Il y a toujours au moins un client, mais il y en a moins que l’année dernière, on gagne au minimum 50 euros par jour. »

Chacun se lance dans ses calculs : « Moi, dit Wesley, je fais cinq tombes par jour, j’utilise 15 litres de peinture tous les 3 jours. » Un pactole pour des adolescents déjà très sérieux : « Avec cet argent, j’aide ma famille à payer le loyer, dit l’un, je fais des achats utiles, dit un autre, ce n’est pas de l’argent de poche. » 

Loyis a l’œil qui brille, le cou qui s’allonge : une jeune fille passe. Il l’interpelle de son désormais célèbre « chabine », même si elle n’est pas chabine. Encore un vent.

La nuit tombe, elle n’est pas encore tout à fait noire, le gardien ferme la grille sur laquelle est inscrit un message qu’on ne pensait pas trouver ici : « Durant les fêtes de la Toussaint, n’invitons pas la Covid en famille. » « Ce n’est pas comme l’année dernière, la fête est triste », se désole Joseph. Un homme crie au gardien : « ou ka fèmé chantyé aw ! » 

Les garçons se lèvent du trottoir comme un seul homme, ils enfourchent leur vélo, ils chahutent et se vannent. « Vivement demain », lance Joseph. Demain, c’est dimanche et c’est à la fois leur dernier jour de travail et le 1er novembre.  

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