Culture. Après avoir levé 11 000 euros pendant le confinement de mars, Agnès Cornélie a lancé Calypso, cette librairie unique à Paris. Son but : faire connaître la culture des Antilles et des Caraïbes. – Texte Clara Tran, Photos Cédrick Isham
Que les amateurs de “plages, cocotiers et belles femmes” passent leur chemin. La librairie Calypso a beau recenser un millier d’ouvrages mais rien, pas l’ombre d’un nanar, ni d’un ouvrage sous les palmiers à l’exotisme suranné.
Pas le genre de la maison. Pas le genre de beauté d’Agnès Cornélie. Lovée dans un gros pull beige, la propriétaire des lieux précise d’emblée :
“Avec ce projet, j’ai voulu partager mon amour pour la langue créole. Une langue riche, issue d’une histoire douloureuse, de l’esclavage, de la colonisation, de l’immigration, de l’exil. Calypso est né de ce constat, que la littérature ultramarine est encore méconnue, trop peu visible, souvent fantasmée”.
Agnès Cornélie
“Ce n’est pas du tout un marché de niche”, défend-elle, regard pétillant, sourire solaire.

Changer les regards
Nichée à Paris, dans le 11e arrondissement, sa librairie a vu le jour en août, après une campagne de crowdfunding qui a levé près de 11 000 euros, pendant le confinement de mars.
L’ambition de ce lieu unique ? Changer les regards, faire découvrir la richesse de la culture des Antilles et des Caraïbes, en s’adressant aussi bien aux profanes qu’aux puristes.
“Je n’ai pas de client type, raconte Agnès Cornélie. Le profil de mes clients est varié, cela va des personnes originaires des Outre-mer aux lecteurs qui n’ont pas de liens directs avec ces territoires mais sont curieux, ont envie de connaître”.
La chanteuse Florence Naprix, amie et soutien de la première heure, évoque la pertinence du projet :
“La force de Calypso c’est de parler de la culture ultramarine au sens large, pas juste de littérature. Agnès, c’est le soleil et la douceur, et Calypso est à son image, c’est un lieu libre où l’on est à l’aise, qui vous prend comme des bras ouverts”.
Florence Naprix
“Un lieu de vie, qui met en lumière la culture sous toutes ses formes”
La décoration est soignée, intérieur coloré tout en vert et orange, entre le salon de thé et la librairie chic. Il y a des ouvrages pointus et grands publics, “Une théorie féministe de la violence” de Florence Vergès en vitrine. Des étagères en bois qui regorgent de CD, de livres d’art, d’histoire, de cuisine.
Et à l’heure du goûter, le visiteur déguste du café Bourbon ou du thé blanc de la Réunion sous les anthuriums. Calypso réalise très clairement la définition de la librairie idéale selon Agnès Cornélie : “Un lieu de vie, qui est un espace d’échanges, qui met en lumière la culture sous toutes ses formes”.
Quand le covid aura levé les gestes barrière, elle espère organiser des événements nombreux, variés, des moments de rencontres, pourquoi pas des concerts.
Fin octobre, la bédéiste Jessica Oublié était venue y faire la sortie nationale de ses “Tropiques Toxiques”. “Un moment très chaleureux avec beaucoup de monde”, se remémore-t-elle, en ce début novembre.
Confinement hivernal oblige, le lieu est désert et un peu triste. Mais la jeune femme diffuse d’une voix douce un enjouement survitaminé : “Je suis une personne très positive, raconte-t-elle. Là, il y a le click and collect qui marche bien”.
“Mon projet est né en 2020, qui n’est pas la meilleure année, s’amuse-t-elle, mais quand on crée une librairie, c’est un si long chemin, qu’il faut s’attendre à connaître des crises”.
“Un livre qui m’a mise par terre”
Son projet vient de loin et sa détermination est sans faille. L’idée a germé il y a quelques années, à l’époque où elle était encore professeure de lettres au collège.
“J’avais du mal à trouver des ouvrages des Outre-mer, se souvient-elle. Je devais me rendre à la Fnac ou à la bibliothèque”, sourit-elle.
Née en Guadeloupe, Agnès Cornélie arrive à Paris à 18 ans pour ses études : hypokhâgne, khâgne, avant d’obtenir le Capes. “Je garde un très bon souvenir de cette période”, raconte-t-elle.
Férue de littérature ultramarine, l’enseignante aimait déjà faire découvrir à ses élèves le poète anticolonialiste Aimé Césaire, l’un de ses piliers. “C’est un écrivain majeur sur le concept de négritude, indispensable aussi pour s’interroger sur soi-même”.
Dotée d’une culture solide mais pas prétentieuse, elle cite à l’envi Tony Delsham, Derek Walcott, Jacques Stephen Alexis mais aussi Louis-Philippe Dalembert, dont elle apprécie le lyrisme profond et solennel. “Mur Méditerranée nous montre de l’intérieur ce qu’est la migration, pourquoi certains sont obligés de vivre un déracinement. C’est un livre qui m’a mise par terre”, affirme-t-elle.
En littérature comme dans la vie, ses avis sont souvent tranchés, directs et ses affections, définitives. “Agnès est quelqu’un d’entier, souligne Florence Naprix. Je ne l’ai jamais vue stressée, inquiète. C’est une battante”.
Quitter la fonction publique il y a deux ans, pour se former à l’INFL, l’École de la librairie, ne l’a jamais effrayée. D’ailleurs, c’est lors d’un premier job à la Fnac qu’elle découvre la réalité du métier : “Une librairie c’est avant tout un commerce. On ne parle pas que de livres au quotidien. Il y a des livraisons, de la manutention etc.”.
Des tâches parfois ingrates, qui sont loin de briser l’entrain de la littéraire. Elle a signé il y a peu la pétition du Syndicat de la librairie française pour la réouverture des librairies.
Et après le confinement hivernal, Agnès Cornélie entend bien recevoir la féministe Françoise Vergès à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage politique. Manière de rappeler que la pensée décoloniale est toujours vivante et qu’être libraire en 2020 est aussi un acte militant.
Magnifique initiative, je vous encourage à être une vitrine de la beauté et de la fécondité tant intellectuelle qu’humaine des cultures ultramarines