Un des personnages majeurs du cinéma antillais est le Rebelle s’opposant au système colonial esclavagiste ou post-esclavagiste ou, plus largement, au système économique en place marqué par son iniquité. La moitié des protagonistes des films du cinéma antillais sont des Rebelles, au sens où l’entend le poète Aimé Césaire dans sa célèbre pièce de théâtre « Et les chiens se taisaient ». – Texte Guillaume Robillard
Résistants contre toute forme d’exploitation
Dans son triptyque « Vivre libre ou mourir » (1980), « Sucre Amer » (1997) et « 1802 l’épopée guadeloupéenne » (2004), le réalisateur Christian Lara met en scène la « guerre de Guadeloupe » qui eut lieu en 1802 lorsque les troupes napoléoniennes rétablirent l’esclavage.

Aux résistants historiques de cette épopée, parmi eux la Mulâtresse Solitude, Marthe-Rose, Ignace et Delgrès, font écho d’autres résistants « au présent », guadeloupéens et martiniquais : Coco Lafleur, le candidat aux accents autonomistes du premier film antillais commercialisé (« Coco Lafleur, candidat », Christian Lara, 1979), le célèbre journaliste André Aliker qui mourra de son opposition au Béké surnommé « Le Dragon » dans les années 1930 (« Aliker », Guy Deslauriers, 2008).
Quant aux femmes, elles ne sont pas en reste : Rose, la dissidente au temps de l’Amiral Robert (« Rose et le soldat », Jean-Claude Barny, 2015) mais aussi les femmes protagonistes du film d’animation « Battledream Chronicle » (Alain Bidard, 2015) dans un futur apocalyptique où de nouvelles formes d’esclavage persistent…
Cependant, un genre particulier de Rebelle traverse le cinéma antillais : le Nègre marron.

L’incontournable Nègre marron
Dans « Le Sang du Flamboyant » (François Migeat, 1981), premier long-métrage de fiction martiniquais commercialisé, le protagoniste Albon est un résistant historique qui marronna de 1942 à 1949… À l’image des résistants, les Nègres marrons sont donc fondamentaux dans le cinéma antillais.
D’autres personnages s’avèreront être des Nègres marrons par « détours ».
Dans « Bourg-la-folie » (Benjamin Jules-Rosette, 1982), le protagoniste, se prenant pour un Amérindien arawak, réalise « un marronnage » en réclamant la répartition équitable des terres antillaises.
Dans « Rue Cases-Nègres » (Euzhan Palcy, 1983), un discret marronnage se réalise avec l’ami du jeune José, Léopold, né d’un père béké et d’une mère noire qui, face au refus de son père mourant de le reconnaître, s’enfuira dans un champ de cannes et reviendra pour prendre le « cahier » (de comptes) du Béké afin de prouver que ce dernier exploite abusivement les travailleurs de la canne…
Les Nègres marrons sont alors des acteurs efficients du Politique antillais.
Plus tard, ces derniers feront le passage de la campagne à l’En-Ville. Ainsi, dans « Vagabond tropical » (Patrick Valey, 1987), le protagoniste est un jeune homme au chômage et désœuvré dans un bourg de la Martinique des années 1980 qui « marronnera » dans les hauteurs après avoir été confondu, à tort, avec un cambrioleur assassin.
Pourtant, ici, à la différence des films précédents, le protagoniste ne devient pas Nègre marron par choix, il n’opère pas une fuite par volonté assumée et ne mettra pas en difficulté le « système ».

Dans le même ordre d’idées, « Nèg Maron » (Jean-Claude Barny, 2005) introduit la figure du marron dans la ville à travers son protagoniste Josua dans deux séquences (d’ouverture et de fermeture du film) au cours desquelles ce jeune gamin du ghetto court vers les bois pour échapper aux forces de l’ordre.
Pourtant, ce marronnage, que la réalisation travaille à rendre central (par le titre du film, en particulier), brille par son absence : nous n’entrerons pas dans ces bois, le début de ce marronnage s’arrêtant dans une image figée, en manière de conclusion du film…
Comme si les « Nègres marron de l’En-Ville », devenus hors-sol malgré eux, perdaient quelque peu de leur capacité à être des acteurs politiques et fédérateurs du « Nous » guadeloupéen ou martiniquais, à la différence des débuts du cinéma antillais…

Cependant, une nouvelle forme de marronnage se profile discrètement : dans le drame musical « Biguine » (Guy Deslauriers, 2004), la biguine, dont nous suivons l’invention dans le Saint-Pierre de la fin du XIXe siècle, nous est présentée par la voix-off comme une « Négresse marronne ».
Comme si du marronnage physique, on était passé à un marronnage résolument culturel, à « l’intérieur du système » (la ville coloniale).