10 ans après l’édition de Cayenne, les états généraux du multilinguisme dans les Outre-Mer (EGM-OM) se tiendront en Octobre 2021 à La Réunion. D’ores et déjà, les premières pistes de réflexion ont été engagées à l’occasion d’un séminaire préparatoire en Martinique les 29 et 30 avril.
Texte Yva Gelin – Photos Pierre de Champs

Les Outre-mer, ces territoires français et pourtant si uniques. Une singularité qui se traduit, s’expérimente et se diffuse via une langue tout aussi distincte.
Définir les objectifs d’une nouvelle politique linguistique est ainsi un enjeu majeur afin que chaque territoire puisse bénéficier d’un épanouissement le plus complet.
Faisant écho à de nombreux secteurs de la vie quotidienne, réintégrer une langue nécessite une véritable stratégie à plusieurs niveaux. Au mois d’octobre, 3 grands axes seront mis en avant :
- La langue au cœur du patrimoine culturel immatériel
- La création et la diffusion en langue locale
- Les langues locales dans la vie sociale, autrement dit, administrative, publique et dans le domaine de la santé publique
Une deuxième édition qui bénéficie d’un contexte d’autant plus favorable avec la loi Molac votée par le parlement le 22 avril : la première sous la Vème République à inscrire dans la loi les mesures de protection et de promotion des langues régionales.
3 QUESTIONS À… PAUL DE SINETY
Délégué général à la langue française et aux langues de France, il est le coordinateur des États Généraux du Multilinguisme qui se tiennent le 28 octobre 2021 à La Réunion.

Comment se définit la politique linguistique de la France ?
La langue française tisse un dialogue constant avec les autres langues parlées pour certaines bien avant le français ! C’est ce dialogue qu’il convient d’accompagner aujourd’hui avec pragmatisme, subtilité et sans opposition stérile.
La DGLFLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France) veille aux bonnes conditions d’emploi de nos langues dans notre société, afin de permettre une meilleure compréhension mutuelle, et favoriser la capacité pour chacun à exercer pleinement sa citoyenneté.
Dire « je » dans une langue partagée fonde la conscience d’appartenance commune. En ce sens, c’est participer à la construction de notre pays pour toujours plus de démocratie et de cohésion. Il s’agit également de permettre plus d’égalité en luttant contre l’illettrisme.
Quels ont été les effets des précédents États Généraux du Multilinguisme à Cayenne ?
Les EGM-OM de Cayenne ont débouché sur la Déclaration de Cayenne rédigée par l’ensemble des participants. Elle synthétisait en 99 points les actions à entreprendre pour promouvoir et renforcer les langues régionales des Outre-mer.
Si cette déclaration n’a pas eu d’implication en termes législatifs, elle a généré toute une série d’initiatives locales, notamment en ce qui concerne l’équipement de ces langues, à travers la production de matériel pédagogique (grammaires, manuels, dictionnaires etc.).
En plus d’une véritable prise de conscience du paysage linguistique de la France, une des conséquences des EGM-OM de Cayenne a été l’adoption en juin 2019 par le CESE (Conseil économique, social et environnemental) de l’avis « Valorisons les langues des Outre-mer pour une meilleure cohésion sociale », qui a repris beaucoup de points de la déclaration de Cayenne.
Aujourd’hui, dix ans plus tard, il s’agit de faire un bilan et c’est pour cette raison que chaque territoire organise en amont un séminaire préparatoire qui nous permet d’identifier les acteurs incontournables sans qui aucune avancée ne sera possible.
Que peut-on attendre des Etats Généraux d’octobre à La Réunion ?
Il s’agit de responsabiliser tous les acteurs impliqués dans la sauvegarde et la promotion des langues régionales des Outre-mer : l’État, les collectivités territoriales, le milieu associatif, la société civile.
L’objectif est de mettre en place une politique linguistique équilibrée entre le français et les langues régionales de façon à renforcer la cohésion sociale dans ces territoires.
Les langues régionales ont beaucoup à nous apporter en termes de connaissances patrimoniales et environnementales grâce aux savoirs qu’elles véhiculent, et qui ne se reflètent pas forcément en français.
Nous souhaitons également encourager la création culturelle en langues régionales et leur donner plus de visibilité dans l’espace public, à travers une meilleure présence dans les médias notamment.
Martinique : phase préparatoire
« Gran kozé alantou sé lanng-lan ! » était le nom de ce séminaire préparatoire. Deux jours et neuf ateliers proposés en distanciel et en partie présentiel ont servi en Martinique d’introduction au jour J.
Comme l’annonce le directeur de la Direction des Affaires Culturelles (DAC), Christophe Pomez, il s’agit de « convier des contributeurs à enrichir la préparation des États Généraux », parmi lesquels écrivains et artistes, entrepreneurs et associations, journalistes et chercheurs.
Pour cet évènement, deux approches fondamentales ont guidé les ateliers et la parole des intervenants :
- Quelle place la langue régionale occupe-t-elle dans la communication institutionnelle des entreprises et plus généralement dans la vie économique ?
- Comment appréhender l’impact de celle-ci sur le rayonnement culturel et économique d’un territoire ?
Ainsi, des questions telles que le multilinguisme dans les médias, le digital, la prévention des risques naturels ou encore l’enseignement de la littérature en langue créole ont été abordées.
La mise en avant des langues régionales est alors évidente. La langue est un outil identitaire, et comme l’explique Roland-Pascal Ratenan de la marketplace Bo Kay Nou, « il s’agit d’une langue d’échange ».

« D’une certaine façon, poursuit-il, ne pas la maîtriser empêche une validation sociale. Par exemple, c’est un atout marketing qui facilite l’adhésion du public local et évite de se perdre dans une masse internationale et permet d’être identifié par la diaspora. »
Au-delà de l’outil qu’est la langue, pour Nathalie Michalon (agence KaNNH), docteure en physique et doctorante en langue et culture régionale, réintégrer le créole rentre dans une logique de politique environnementale afin de « permettre au grand public de mieux comprendre un phénomène et donc agir en conséquence, mais aussi être plus efficace dans la prévention des risques majeurs ».
Une démarche de réintégration qui doit passer également par les médias, tel que le défend Edmond Mondésir de la radio historique APAL, laquelle a fait du créole sa langue officielle depuis 40 ans.
« Fok sa rantré an kilti nou pou nou pé touché populasyon nou », résume Roland-Pascal Rateman lors de l’atelier dédié à l’économie.

Multilinguisme et réflexions
Il y a aujourd’hui plus de 75 langues en France. Entre les langues régionales historiquement parlées ou encore les langues non-territoriales, plus des deux tiers de ces langues sont parlées dans les Outre-mer, une question donc d’autant plus fondamentale pour ces territoires.
Tel que le met en évidence Christophe Pomez lors de son discours d’ouverture du séminaire préparatoire :
« C’est une question d’intérêt public. Le multilinguisme implique de préserver le patrimoine et d’échanger dans le respect de la diversité humaine. »
De la Polynésie à la Martinique en passant par La Réunion, l’existence d’une langue régionale est reconnue mais bien souvent négligée. Là est toute l’utilité de ces États Généraux : mettre en évidence les différents moyens pour que ces langues régionales soient à la place qu’elles méritent.
C’est ce qu’a mis en exergue l’anthropologue Maguy Moravie, au cours de l’atelier « Sauvegarde des langues par les pratiques culturelles » : l’interdit du créole remonte aux années 60.
C’est une nouvelle génération qui regarde aujourd’hui cette question de la langue. Les revendications ont elles aussi évolué.
Pour Grégory Ouana, fondateur de YEKRIK, une box pour enfant sur la culture antillaise, il s’agit principalement de « rééquilibrage », autrement dit de redonner au créole la place qu’il mérite dans le quotidien :
« En faire une langue évidente, pour ensuite pouvoir l’intégrer dans d’autres branches comme l’économie. Sans ce rééquilibrage, des nouvelles mesures peuvent être perçues comme du folklore ».

Une volonté qui doit pouvoir préférer une traduction littéraire à littérale, met en avant Manuela Antoine, enseignante de créole à l’INSPE et traductrice. Une traduction littérale dépouillerait une langue d’une certaine authenticité qui lui est propre.
« Au-delà de la sauvegarde de langue, intervient Christian Foret, réalisateur de films documentaires, il y a la sauvegarde de l’esprit de la langue ».
Autant de réflexions qui illustrent la complexité mais néanmoins renforcent la nécessité d’intégrer de nouveaux fonctionnements quant aux langues régionales.

Rendez-vous à La Réunion
La prochaine étape des États Généraux aura bien lieu à La Réunion le 28 octobre 2021 et devrait réunir pas moins de 250 acteurs, représentatifs de chaque Outre-mer.
10 ans après les États Généraux de Cayenne, en 2011, le sujet phare sera celui de la place des langues régionales, pour qu’aucun aspect de l’identité d’un individu, d’une communauté, d’une société, en lien avec sa langue, ne soit ignoré.
Coordonné par la Délégation Générale de la Langue Française et des langues de France (DGLFLF), l’évènement est co-organisé par le ministère de la Culture avec tous les services déconcentrés au sein des Outre-mer, le ministère des Outre-Mer, et celui de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports.
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