Sylvie Condé

Portrait sans fards : Sylvie Condé, fille de

« Le 3 avril 1960, ma première fille, Sylvie-Anne, naquit. (…) Jamais pareils flots de tendresse ne m’avaient inondé le cœur. (…) Emerveillée, je la contemplais pendant des heures. (…) » Maryse Condé, La vie sans fards, JC Lattès

Que lègue-t-on à ses enfants quand on est Maryse Condé ? Comment se construire quand la figure maternelle et tutélaire est une des voix majeures de la littérature afro antillaise ?

« Je comprends ses combats que je fais miens (…) je me suis démarquée d’elle pour trouver ma propre voix », reconnaît Sylvie-Anne Condé, fille aînée de Maryse Condé. De ce rapport mère-fille, c’est en filigrane le portrait intime de l’écrivaine qui apparaît.

Texte Willy Gassion – Illustration Orane Phedon

Qui est-on quand on est la fille de Maryse Condé ?

Sylvie-Anne Condé : Être la fille de Maryse Condé, c’est être un produit de l’esprit, c’est apprendre à développer l’assurance en soi, c’est être indépendant vis-à-vis du matériel.

« Maryse Condé vous donne les matériaux pour bâtir votre propre personnalité, avoir votre propre vision du monde et être suffisamment fort pour prendre votre indépendance vis-à-vis d’elle. »

Je n’ai pas le même parcours que ma mère, je suis économiste, j’ai un DEA d’économie de développement et je suis diplômée de Sciences Po Paris. Je me reconnais dans beaucoup des livres de Maryse Condé, je comprends ses combats que je fais miens, mais mes outils de réponse sont dans l’analyse des problèmes économiques d’un territoire pour son développement.

« Je suis en accord avec sa pensée littéraire, sa vision de la culture et du monde, sur cela on est en parfaite convergence. »

Sylvie Condé, fille de Maryse Condé

Que vous a-t-elle enseigné ?

Elle m’a permis de me définir, de reconnaître qui je suis : une femme, noire, afro descendante, belle et forte.

Elle m’a appris la nécessité de choisir sa vie en toute liberté, à ne pas être dans la soumission à l’homme et à conduire son destin.

« Elle m’a appris à rechercher la vérité et la justice, la nécessité de combattre pour le rétablissement de l’égalité entre les Hommes. Et c’est ce que je fais, je me bats pour que tombent les préjugés sur l’Homme noir. »

J’ai été nourrie par tous les combats de Frantz Fanon, je suis pour la liberté et l’égalité de traitement entre les Hommes pour que nous cheminions vers une humanité plus concordante, je voudrais que mes enfants soient décomplexés, équilibrés et qu’ils soient pleinement eux-mêmes.

Est-il difficile d’être la fille de Maryse Condé ?

Je ne vis pas d’être une fille de, je ne suis pas une petite Maryse Condé, je suis Sylvie Condé. Je dois respecter son territoire, elle reste elle et je reste moi. Je m’évertue à être discrète sur mes origines mais on me présente toujours comme la fille de… dans le même temps je ne peux pas me débarrasser de ce lien-là.

Je me souviens de ma rencontre avec Angela Davis en Haïti, je lui parlais et elle semblait peu intéressée par ce que je lui disais, au cours de la conversation je finis par lui dire de qui je suis la fille, et là elle s’exclame : « il fallait commencer par ça ! » (rires)

« Je suis très heureuse d’être la fille de Maryse Condé, j’ai ressenti une immense fierté quand elle a reçu le prix Nobel de littérature alternatif. Je lis tous ses livres, je l’interroge sur ses écrits. »

Quand j’étais à la fac, je participais aux cours qu’elle donnait à Nanterre, je l’ai suivie dans son parcours d’enseignante, il m’est arrivé d’assister à certains de ses colloques. J’étais alors une étudiante qui écoutait une intellectuelle.

« Ce qui me frappe chez Maryse Condé et me rend admirative, c’est qu’elle reste fidèle à sa pensée quel que soit l’environnement où elle est. Sa pensée et sa vision du monde n’ont jamais varié, elle n’a jamais cédé, elle n’a jamais été dans la séduction. »

Maryse Condé

De Maryse Condé, nous connaissons l’écrivaine, mais quelle mère est-elle ?

C’est notre seule référence, à nous, ses quatre enfants, mon frère et mes deux sœurs. C’est notre phare, elle est à la fois la mère et le père, nous avons les yeux rivés sur elle.

Je suis sa fille ainée, je suis née en Côte d’Ivoire d’un père Guinéen, Maryse Condé nous a élevés, façonnés selon sa vision. C’était une éducation sévère, à l’antillaise, mais nous avions des rapports très ouverts.

« Nous étions un peu ses sœurs et frère et Maryse, c’était l’aînée, notre grande sœur, nous étions en quelque sorte ses confidents. Nous étions tout le temps ensemble, nous avons beaucoup voyagé. »

Elle s’est souvent retrouvée dans la peau d’une étrangère dans les pays d’Afrique où nous avons habité, des déceptions et malentendus sont d’ailleurs nés de ça. Partout où nous sommes allés, elle a toujours gardé la Guadeloupe en elle. La maison, c’était la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal, la Guinée et l’Angleterre où elle a été journaliste pour la BBC.

Elle nous couvait, elle était très présente dans nos vies, elle nous nourrissait avec des livres, je me souviens enfant qu’elle nous avait fait lire « La case de l’oncle Tom ». J’ai beaucoup lu, j’ai tout lu sur l’émancipation de l’Homme noir, elle nous a guidés dans notre parcours littéraire en nous faisant découvrir tous les livres de Jean Price-Mars, elle nous a encadrés intellectuellement.

Un enfant se construit par rapport à sa mère et contre sa mère, je me suis démarquée d’elle pour trouver ma propre voie.

Vous aviez, avec votre fratrie, une place privilégiée d’où vous pouviez l’observer écrire…

Je savais reconnaître quand elle était en pleine réflexion pour un prochain livre, la maison était alors inondée de musique. Ses écrits restaient secrets, elle s’enfermait dans son atelier.

Notre cellule familiale était très resserrée, on se serrait les coudes, nous cheminions ensemble, nous doutions ensemble, nous avions des déceptions communes.

« On vivait comme des drames familiaux, les mauvaises critiques de ses livres quand il y en avait. Quand elle était effondrée, nous étions tous effondrés. »

Comment vous a-t-elle transmis la Guadeloupe ?

Elle nous a transmis la Guadeloupe par ses récits, les chants, la cuisine, les anecdotes, la musique… elle chantait en créole quand nous étions petits, elle adorait fredonner les cantiques de Noël mais elle ne parlait pas créole.

Elle écoutait toute sorte de musique mais depuis ces vingt dernières années, elle s’est rapprochée de la musique classique.

Il y a une dichotomie entre son esprit alerte et son corps qui vieillit, confronté à des maladies héréditaires.

Elle prépare un nouveau roman qui devrait sortir en septembre 2021. Elle continue de suivre avec intérêt ce qu’il se passe en Guadeloupe.

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