Jédi oswè, Gwadloup ka montré figi a’y … sé jou a soup péyi.

Chaises dépareillées, nappe cirée sur les tables et couvert dressé font le charme du lieu. En ce jeudi soir, Céline, encore en cuisine, s’apprête à recevoir ses hôtes. Tous sont venus pour la soupe. Une soupe, synonyme du temps d’avant, une relique de la Guadeloupe d’autrefois, rurale et authentique. La Guadeloupe dans son nannan. – Texte Clémence Apetogbor, Photo Cédrick-Isham Calvados

La lumière blanche tranche avec les murs de couleurs autrefois vives. Tout est calme, pour quelques minutes encore. On entend la maîtresse des lieux s’affairer derrière le comptoir. Dix-neuf heures trente, plusieurs bouches affamées font leur entrée dans cette petite boutique de Morne-à-l’Eau. Le jeudi soir, la salle, située juste à côté du commerce familial, accueille les amateurs de soupe.

Les habitués prennent place sur des bancs en bois. Ils bavardent, dégustent le rhum, refont le monde. Leur monde. Principalement des hommes, des retraités, ils rient fort et dans leur bouche joyeuse, le créole ressemble à une langue étrangère. Le jeudi soir est le rendez-vous que personne n’entend rater. Certains viennent même de loin.

« C’est une tradition », raconte Yvan. « Je viens manger ma soupe le lundi et le jeudi. C’est l’occasion de dialoguer. Je peux parler avec un voisin, un cousin. Quand je viens ici, je suis sûr de rencontrer quelqu’un que je connais. Je viens seul et je retrouve des amis. » L’homme de 27 ans n’est pourtant pas de la ville. « Je sors du bourg des Abymes pour venir jusqu’ici. C’est un ami qui m’a emmené ici la première fois pour manger une soupe. J’ai été bien accueilli. C’était il y a 4 ou 5 ans. J’étais gamin, je venais à vélo. »

« J’ai été invité par un groupe d’amis qui m’a dit qu’on mangeait une bonne soupe à Morne-à-l’Eau. Je suis venu, j’ai trouvé ça bien. Je suis revenu, je leur ai dit : à partir d’aujourd’hui, je suis avec vous. »

Zoiseau

Rendez-vous entre amis

Même chose pour celui que l’on surnomme Zoiseau, originaire des Abymes, qui se remémore le début de son histoire avec le lieu. « Je ne me souviens pas du tout de quand ça s’est passé. J’ai été invité par un groupe d’amis qui m’a dit qu’on mangeait une bonne soupe à Morne-à-l’Eau. Je suis venu, j’ai trouvé ça bien. Je suis revenu, je leur ai dit : à partir d’aujourd’hui, je suis avec vous. C’est comme ça que je me suis intégré. » Depuis maintenant quatre ans, Zoiseau et ses trois amis se retrouvent tous les jeudis soir, exception faite pour les jours de fête. Et la mécanique est bien huilée entre les quatre compères. Tour à tour, chacun paye sa tournée. « Si toi, tu veux prendre deux desserts, trois desserts, y a pas de souci ! Nous sommes une famille. On est constamment comme ça, c’est un mode de vie. »

Yvan, le gamin d’hier, regrettent que ceux d’aujourd’hui se détournent des lieux comme celui-ci. « Les jeunes disent qu’ils ne veulent pas manger de la soupe. Ils préfèrent les tacos, le KFC. » L’ami, avec lequel Yvan est venu dîner ce soir, abonde : « Si tu manges local, c’est plus riche que si tu manges quelque chose à emporter. C’est meilleur pour la santé. Tu manges un bol de soupe, tu es tranquille. »

« Si tu manges local, c’est plus riche que si tu manges quelque chose à emporter. C’est meilleur pour la santé. Tu manges un bol de soupe, tu es tranquille. »

Comme à la maison

Un bol de soupe servi comme à la maison. Un goût familier, rassurant, presque réconfortant. Un plat simple en apparence, mais qui donne corps à bien plus encore. « C’est une famille. C’est un lieu de rencontre. C’est bonjour, bonsoir et vice versa. C’est un moment de détente », explique Yvan.

La télé hurle les informations du jour, aussi dramatique que soit l’actualité, elle n’a, à cet instant, aucune importance. Ce soir est comme un soir de fête, la soupe de bœuf réconforte les cœurs et fait oublier tout le reste. Modestement, Céline parle, elle, « d’épicerie du quartier ». « Les gens aiment bien se retrouver, discuter. La convivialité avant tout. » Et cela fait déjà près de 60 ans que ça dure. Tout ici a ce goût d’avant, tout est délicieusement suranné. Même la nuit paraît couleur sépia, celle de la nostalgie.

« On ne veut pas que ça ferme. On va essayer de transmettre le lieu de génération en génération. »

Transmission et secrets de cuisine

La soupe serait presque un prétexte, l’essentiel semble ailleurs. Dans les rapports humains, dans la solidarité, comme si ces valeurs-là ne pouvaient se trouver qu’ici, entre ces murs-là, dans cette campagne-là. Loin de la ville, du bruit, de la pollution et des embouteillages.

Un endroit que personne n’imagine voir disparaître. « Si cet endroit devait fermer ? Ici, c’est l’endroit où Céline vend, mais moi je sais où elle habite. Elle m’appellera », assure Yvan. Difficile pour la fille des propriétaires d’imaginer que la boutique familiale vienne à baisser le rideau. « J’ai toujours été dans la boutique. J’aide ma maman depuis que j’ai 10 ou 11 ans. Je vais poursuivre mes études, mais si mes parents ont besoin de moi, je serai toujours là. On ne veut pas que ça ferme. On va essayer de transmettre le lieu de génération en génération. »

La relève semble d’ores et déjà assurée. « Je ne connais pas encore tous ses secrets, mais je la regarde faire. » De la confection de la soupe, nous non plus, nous ne saurons rien, le mystère participe aussi à son succès.

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