L’autre promesse de l’aube, nos premiers pas en Guyane

La voiture démarre, il faut encore nuit. J’écoute France Inter, les mots défilent et la littérature reprend vie en Amazonie. – Texte Coralie Custos Quatreville

Lorsque l’on quitte Cayenne ce matin-là, pas un chat ne rode. La place des Palmistes est vide et l’air est frais. Quelques volets clapotent sur les balustrades. Un homme au loin, balaie. Je redresse mon siège, allume la géolocalisation de mon téléphone intelligent et j’inscris lettre après lettre, Saint-Laurent du Maroni dans la barre de recherche. Il suffit de quelques secondes pour qu’un tracé bleu se dessine sur mon écran luminescent. Deux heures cinquante-neuf minutes séparent ma place de stationnement avec le rendez-vous qui m’attend plus au nord.

Depuis la rue Lallouette, il me faut prendre le rond-point Maringouin, passer la pharmacie puis le pont du Larivot et continuer sur la N1, le temps que la vie file. Sur le chemin, il y aura le marché du village Kamuyeneh, la gendarmerie de Tonate, la Caussade, le Centre spatial de Kourou et la station-service Vito de Sinnamary sur ma droite.

Plus loin, la route jojo, la Maison de la nature en pleine nature, et puis, des étendues de vert impérial sur terres de mars. Sans crier gare, l’Église Saint-Joseph d’Iracoubo, apparaitra toute en bois avec ses toits de tôles rouge alizarine. La girouette placée sur son clocher nous guidera vers la route de l’Espace, où seul le Glynx, restaurant cinq étoiles, semble attendre les Guyanais les plus avertis.

Puis, sur plusieurs kilomètres, c’est la vie sans trouble-fête qui débutera son périple avec France inter en toile de fond. L’émission ravive ce matin-là, l’éternité de Romain Gary. En direct, on parle de littérature, des mots intrépides, de Vilnius et de la guerre. Et puis, progressivement, la radio grésille et les voix s’éteignent.

Silence.

Du plat, des montagnes, du plat… et encore des plateaux à perpette. Ici, le vivant est glissant, grinçant, tumultueux. J’apprendrais par la suite, que ces grands palmiers encore jamais vus portent le nom de pinot ou wassaï. Qu’ils s’épanouissent sur ces terres cendrées et humides, et que leurs grappes donnent des baies d’açai attrapées à la main et conservées précieusement dans des paniers nattés.

Dans cette chevelure démentielle et ce peuplement arborescent, il y aura cette multitude de France et de Français qui vivent autrement, habitent autrement, mangent autrement et se côtoient avec style et complicité mesurée. Et si tant est qu’au bout de ces longues étendues, l’œil ait oublié le mot ville, ce sont quelques panneaux et boites-aux-lettres jaunes et orangées qui rappelleront que l’urbain existe, même si ici, il n’est qu’un point sur la carte. D’ailleurs, voilà l’humain qui revient dans mon rétroviseur ! Je viens d’apercevoir le carrefour de Mana.

Fini la zone blanche.

Quelques minutes plus tard, le Lycée polyvalent Raymond Tarcy découvre son bâti. En descendant la route, du bout du bout, l’on apercevra le petit-Paris vu et revu par Albert Londres, l’écrivain douteux et l’indescriptible journaliste qui, dès 1848, s’aventura sur ce terre-plein en quête d’un renouveau à décrire.

Du quadrillé sous nos pieds, il y aura les garages, voitures cabossées et leur pneus dégonflés, les supermarchés à réachalander, l’aérodrome qui va et vient en pleine saison des pluies, les vendeurs de couac installés à chaque carrefour et des enfants qui s’amusent trempés jusqu’à la nuque.

Et c’est là, juste-là, au milieu des vestiges d’une ville construite par le bagne, au milieu des restaurants qui inscrivent leur menu du midi, après les résidences des profs et des gendarmes, après les villages amérindiens et leurs pirogues qui flottent au-dessus du Maroni, il y aura justement Saint-Laurent et son épave, inerte, envahie par les vies sous-marines. Et c’est normalement au café les Amis du Rallye Néréides qu’un Guyanais Bushinengue m’attend tranquillement pour me présenter la beauté de son pays.

La végétation rit en cascade, ici. Rien ne l’arrête.

Il semble que tout s’écoule, gigote, remonte, prie et bat des cils avec des branches sonores comme il ne s’en fait plus. Pourvu que nos yeux passent tout au crible, que nos pupilles s’éveillent à chaque mince feuillage, et qu’à chaque pont que nous passions, l’univers continue son chemin vers l’infini.

Et puis, v’là que ça grésille. La forêt nous engloutit.

Regarde comme elle est belle avec ses taffetas de soie et ses lyannaj vert empire. Sur la route, un caïman traverse et plusieurs tribus nous font face avant de repartir dans le sous-bois. On s’immerge dans ses voilures, on zigzague le long des canopées. Pourvu que la Guyane se dévoile avec toute sa pudeur et la timidité de son ciel tanné.

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