En Outre-mer, le multilinguisme infuse l’ensemble de la société principalement à travers l’expression orale. La lecture n’est pourtant pas en reste, c’est le créneau de Caraïbéditions, la première maison d’édition qui fit le pari de traduire en créole des classiques. – Texte Yva Gelin
S’assurer d’une harmonie effective entre la langue française et les langues locales d’outre-mer : tel est le but des états généraux du multilinguisme en outre-mer prévus le 28 octobre 2021 à la Réunion. Si pour l’instant, le format (présentiel, à distance ou mixte) est encore incertain, leur tenue est bel et bien confirmée.
Pour la faire courte, les EGM-OM réunissent des acteurs de différents milieux (économie, digital, spectacle, édition, recherche, éducation…) avec le but de favoriser une réflexion « pour un plurilinguisme équilibré », selon les termes du ministère de la culture.
En préparation de cette rencontre et des réflexions qui y seront conduites, EWAG vous propose une sélection d’articles touchant aux questions de la place, du rôle et de l’usage des langues régionales.
Aujourd’hui, focus sur la maison d’éditions Caraïbéditions, dirigée par Florent Charbonnier, pionnière dans la traduction en créole de classiques de la bande dessinée (Astérix, Titeuf…) et de la littérature (Le petit prince…).

“Antillaniser” des œuvres connues
Florent Charbonnier est, comme il le dit, « né dans les livres ». L’envie de créer Caraïbéditions en 2007 lui vient d’un constat : celui qu’il y a un décalage entre l’offre d’ouvrages en créole par rapport à la place que cette langue a dans le quotidien des Martiniquais et des Guadeloupéens. Pour la première publication, il joue la carte de l’originalité et propose une version créole d’un numéro d’Astérix, la bande dessinée la plus vendue en France. « Nous n’avons plus les droits aujourd’hui, mais le numéro traduit en créole guadeloupéen et martiniquais s’est vendu à plus de 15 000 exemplaires. »
Le catalogue des ouvrages traduits comprend aujourd’hui d’autres titres incontournables, tels que le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Nicolas de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé, Titeuf de Zep, L’Étranger de Camus ou encore les contes de Grimm, Perrault et Andersen, traduits en créole martiniquais, guadeloupéen, guyanais et pour certaines, en réunionnais. « L’objectif est de pouvoir diversifier le choix d’œuvres connues en créole », et pour mener à bien cette mission, l’argument premier dans le choix d’un livre à traduire est sa notoriété. « Évidemment », précise Florent, « il y a le goût du passionné que je suis, mais il y a aussi l’analyse du gestionnaire. Je publie ce qui fonctionne. »
« On n’invente rien, c’est surtout une question d’adaptation entre une offre littéraire proposée et la culture de la population visée. »
Au-delà du travail de traduction, le fondateur de Caraïbéditions a aussi pour objectif d’alimenter des secteurs qui lui semblent peu fournis en contenu adapté à la société antillaise. « Dans le secteur de la psychologie et du bien-être, qui ont beaucoup de succès, il n’y avait pas d’ouvrage qui abordait les thématiques sociétales antillaises comme les relations amoureuses, professionnelles, vues au travers du prisme de la psychologie. » C’est donc un projet sur lequel a travaillé la maison d’éditions avec un psychologue, Errol Nuissier, et qui a donné naissance à trois tomes. « On n’invente rien, c’est surtout une question d’adaptation entre une offre littéraire proposée et la culture de la population visée. »

Travail linguistique
La maison d’éditions qui publie majoritairement des romans et des polars, travaille également à des ouvrages purement linguistiques sous forme de lexique et propose aujourd’hui « Les mots du sexe en créole » ou encore « Les mots de l’informatique ». « Le choix du traducteur est essentiel. Nous travaillons avec deux personnalités de référence dans le domaine linguistique qui sont Hector Poulet en Guadeloupe et Raphaël Confiant en Martinique. »
« Le choix du traducteur est essentiel. Nous travaillons avec deux personnalités de référence dans le domaine linguistique qui sont Hector Poulet en Guadeloupe et Raphaël Confiant en Martinique. »
Finalement, tout l’intérêt d’une traduction est de s’assurer que le terme choisi correspond à l’idée d’origine tout en s’adaptant à la culture dans laquelle il est traduit. Le passionné de littérature raconte ainsi comment pour la traduction de Titeuf, afin de rester fidèle à l’esprit « cours de récré », les traducteurs en charge, Hector Poullet et Robin Chilin, ont sollicité une classe d’école primaire pour s’assurer d’être à la page des expressions utilisées dans le dit milieu de la jeunesse.

La magie de la linguistique permet également le “pancréole”. Un procédé selon lequel du vocabulaire commun à chaque créole est utilisé afin d’être compréhensible par tous. « C’est ce qu’a utilisé Raphaël Confiant pour la traduction de l’Étranger de Camus », précise M. Charbonnier. Si au départ l’idée d’œuvres en créoles ne charmait pas les connaisseurs, les faits parlent d’eux-mêmes. « L’offre crée la demande », commente le patron d’édition. « L’impact est allé au-delà de mes espérances. Grâce à la diversification d’ouvrages en créole, les professeurs de créole témoignent bénéficier de davantage de matière pour alimenter l’option créole au BAC, ce qui a permis de rendre cette dernière réalisable. »
Ainsi, un titre après l’autre, se concrétise et enrichit le multilinguisme en outre-mer, fidèle au proverbe « sé grenn diri ka fé sak diri ».
« Grâce à la diversification d’ouvrages en créole, les professeurs de créole témoignent bénéficier de davantage de matière pour alimenter l’option créole au BAC, ce qui a permis de rendre cette dernière réalisable. »