Revendiquer le droit de vivre, le droit de garder espoir. Voici ce qui tient debout, le romancier et poète haïtien, Jean d’Amérique. – Texte Coralie Custos-Quatreville – Photo Cédrick-Isham Calvados
Il est là debout sur la faille. Prêt à tout écrire pour vaincre l’oubli. Ready to go, ready to beat. Ready pour exprimer l’importance des vies enchevêtrées les unes dans le battant des autres.
Là-bas, dans son grand là-bas, chez lui en Haïti, c’est Tête Fêlée qui s’échine à vivre, à répondre présente doigt levé, qui vit au-dedans comme au-dehors, le visage emmêlé, embuée par un trop plein de violences faites de ciel viré, sans étoile. Cette jeune femme a de l’importance, elle semble détailler les recoins de l’enfance, elle est la métaphore filée des printemps de poussières noires et grises, des regards qui ne savent plus habiter le jour. D’ailleurs ici, c’est la grande nuit qui recouvre le lecteur, qui habite chaque ligne, chaque phrase, chaque ondée en majuscule.
« Je voulais dessiner cet espace, cette violence, cet acharnement quotidien », dit-il. « J’ai essayé de donner à voir ces gens, dans ces lieux, avec leur dignité, avec leur désir de vivre ». Car Jean d’Amérique, du haut de ses vingt-sept ans, a vécu la détresse, les coupés de souffle, la foule, les vagues immenses, les décombres aussi. Il a vécu, comme son héroïne Tête Fêlée, les parades dans le chaos, les vacarmes en silence, les drôles de vies qui s’amoncèlent, injustement, dans le fracas des parentés qui pleurent.
« J’ai essayé de donner à voir ces gens, dans ces lieux, avec leur dignité, avec leur désir de vivre. »
(Se) sauver par la poésie
En lui, en dedans de lui, c’est la littérature qui remplit, au compte-goutte tous les flots qui entrent et qui sortent. Tout va au rythme des mots qui tranchent le réel d’un coup de couteau plus incisif qu’une caresse dans le mitan du cœur. « Ce livre, j’ai été obligé de l’écrire pour raconter ce qu’on a fait de ma jeunesse, ce qu’on a fait de mon enfance, de notre enfance à tous. Il fallait que je la raconte avec ces mots, avec ces cadavres oubliés, avec ces yeux qui regardent dans l’arrière-cour du vide. »
Et parce qu’il a été « sauvé » par la poésie, il fait désormais entendre des voix au Festival international Transe Poétique de Port-au-Prince en tant que directeur artistique.
« Ce livre, j’ai été obligé de l’écrire pour raconter ce qu’on a fait de ma jeunesse, ce qu’on a fait de mon enfance, de notre enfance à tous. »
De passerelles en passerelles
Auteur de deux pièces de théâtre – Avilir les ténèbres (2018, finaliste du prix RFI Théâtre) et Cathédrale des cochons (éd. Théâtrales, 2020, prix Jean-Jacques Lerrant des Journées de Lyon, finaliste du prix RFI Théâtre) – Jean d’Amérique a également publié trois recueils de poésie remarqués : Petite fleur du ghetto (Atelier Jeudi soir, 2015 ; mention spéciale du prix René Philoctète, finaliste du prix Révélation poésie de la SGDL), Nul chemin dans la peau que saignante étreinte (Cheyne éditeur, 2017 ; lauréat du prix de la Vocation de la fondation Marcel Bleustein-Blanchet, finaliste du prix Fetkann de poésie) et Atelier du silence (Cheyne éditeur, 2020).
De retour d’une tournée pour Soleil à coudre, son premier roman publié chez Actes Sud, Jean d’Amérique tient lui aussi, entre ses mains, ce sceau de lumières fines qu’il déverse à profusion sur les reliefs de la Lune. Il est la figure d’une nouvelle génération qui tient debout, prend la parole, et qui répand cette fougue, ce liquide doré et argenté, sur les contours violines et indécis d’une ville meurtrie qui ne demande qu’à s’éveiller pour vivre.
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