Un tour de manège martiniquais, avec Chouval Bwa Trad

« Man té ké voudré chouval bwa tounen san rété, tounen, tou-tou-tou-tounen » chantait Dédé Saint-Prix dans sa chanson Chouval Bwa. Le Chouval Bwa, c’est ainsi ce manège enfantin de chevaux de bois qui animait autrefois les places communales, poussé à la seule force des bras. C’est aussi le type de musique qui accompagnait ces tours de carrousel, entre les mélodies de la flûte et de l’accordéon, et le rythme du chacha, du tibwa, du tambour bèlè et du tambour dé bonda; musique aujourd’hui popularisée par Dédé Saint-Prix et Marcé et son groupe Toumpak notamment. – Texte Axelle Dorville, Photo Pierre de Champs

Si le genre musical a su traverser les décennies, le manège lui-même a ralenti sa course et a, malheureusement, largement disparu du paysage martiniquais. Mais c’était sans compter sur Joselita et Claude Germany, un couple de passionnés dont l’histoire est intimement liée à la tradition du Chouval Bwa…

Joselita et Claude Germany, créateurs de Chouval Bwa Trad

Toumpak, pakatak

Dans les années 1980, la musique Chouval Bwa a plus que jamais la côte, nous raconte Joselita, devant son entrepôt dans la commune de Saint-Joseph. Il faut dire qu’à l’époque, la musique proprement martiniquaise cherche à retrouver ses lettres de noblesse. « Toumpak, pakatak, doum bé doum… pas mal de tanbouyé pratiquaient ce rythme » se remémore Joselita, alors danseuse au sein du Grand Ballet de Martinique, où elle rencontrera son époux.

Et puis, l’envie d’indépendance et de création se fait de plus en plus présente. Forte d’une formation dans la petite enfance et avec l’envie de donner vie à un projet mêlant cet intérêt à la promotion de la musique traditionnelle et du patrimoine, le couple quitte le ballet, déterminé à faire revivre le manège d’antan. « Je ne comprenais pas pourquoi on valorisait énormément la musique Chouval Bwa, mais pas du tout le support même, qui était le manège ! » explique Joselita. Qu’à cela ne tienne : une épave fournie par le maire de la ville de Ducos, un grand mât de bois, et la fabrication du fameux carrousel est lancée.

Un des Chouval Bwa conçu par le couple Germany, à Saint-Joseph

À la force des bras

Tout comme le Chouval Bwa traditionnel fonctionnant exclusivement à l’énergie humaine, Joselita et Claude Germany vont user d’huile de coude et de créativité pour ériger leur premier manège. En l’absence de transmission des aînés, le couple s’engage corps et âme dans la recherche technique et développe un savoir-faire inestimable en matière d’ingénierie, de travail du bois, de création artistique et d’assemblage des pièces, « loin de tout copié-collé ».

« On se laisse guider par nos petites mains, on n’est plus dans le mental, on est dans le cœur, l’art de la création et la joie de vouloir réaliser »

Joselita nous décortique le processus d’élaboration d’un Chouval Bwa. « Tout à fait comme un puzzle », il s’agit d’abord d’assembler la matière première, à savoir le bois, le fer, la colle et la peinture. Vient alors la fabrication des pièces, « au gré de l’inspiration de l’artiste ». Les chevaux, ces chouval de bois qui sont la base du manège; puis les voitures ainsi que les ti ban. « On se laisse guider par nos petites mains, on n’est plus dans le mental, on est dans le cœur, l’art de la création et la joie de vouloir réaliser » explique t-elle. Spécialiste du montage, Claude Germany use de la technicité développée au fil des années pour finalement assembler la ménagerie.

Claude Germany conçoit et fabrique les différents éléments du manège

Et après ? Et après « il faut faire danser tout ça ! ». Idéalement, 10 animateurs sont requis. Un joueur de tanbou bèlè, un autre de tanbou dé bonda, « celui qui fait battre le cœur des chevaux ». On rajoute un bwatè (joueur de ti bwa), un chachayé (joueur de cha-cha), un flûtiste, un accordéoniste, voire un guitariste « pour le côté doux et apaisant »; sans oublier les pousseurs et la chanteuse, en la personne de Mme Germany, une nouveauté apportée au concept traditionnel. Vingt-cinq personnes peuvent alors profiter d’un tour de manège sur le Chouval Bwa des Germany.

Jouer avec son enfant intérieur

Loin d’avoir oublié ses premiers amours, à savoir la petite enfance, Joselita engage le couple dans la conception d’un second et plus petit manège, destiné à proposer des animations d’éveil pour les jardins d’enfant, les écoles maternelles ou encore les anniversaires privés. Le Babychouv se déplace ainsi pour ravir les petits de tours de manège, enrichis d’art théâtral, de conte et d’éveil musical.

« Bien que ce ne soit originellement pas le cas, le chant est pour nous le premier élément de communication du Chouval Bwa. On s’amuse, on rigole, toujours en chantant. »

« Bien que ce ne soit originellement pas le cas, le chant est pour nous le premier élément de communication du Chouval Bwa » précise ainsi Joselita. « On s’amuse, on rigole, toujours en chantant. » Un Chouval Bwa ti moun est également en préparation, en plus de deux Chouval Bwa classiques, entreposés d’une part à Saint-Joseph et d’autre part dans le Puy de Dôme, pour des tournées en Hexagone. 

Joselita Germany a enrichi la tradition du Chouval Bwa d’animations et de chant

Un spectacle vivant

Existant à la fois en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, « probablement inspiré de traditions africaines » (du fait du cercle central du manège accueillant l’orchestre), le Chouval Bwa se vit et gagne à être connu. C’est en tout cas la conviction de Joselita et de Claude, dont les manèges ont voyagé d’Auriac à Bobigny, et jusqu’au festival de jazz de la Nouvelle-Orléans. « Nous ne voulons pas limiter ce cheval à une fête communale, il est fait pour voyager, pour créer des moments de partage, pour communiquer avec le monde et raconter l’histoire de son patrimoine » plaide la créatrice.

« Nous ne voulons pas limiter ce cheval à une fête communale, il est fait pour voyager, pour créer des moments de partage, pour communiquer avec le monde et raconter l’histoire de son patrimoine »

Après plus de 30 ans de travail acharné et de sacrifices pour maintenir en vie ce bout de notre patrimoine, le couple se prépare donc à mener son ultime combat, celui de la transmission. Un lieu d’accueil serait bienvenu, afin de pouvoir conserver en bon état les Chouval Bwa si passionnément créés et éviter les risques liés aux déplacements. Mais s’il y a un rêve que Joselita et Claude nourrissent patiemment, c’est bien celui d’un musée des arts et du patrimoine du Chouval Bwa, qui retracerait toute son histoire.

Un nuage passe, le temps d’un instant, Joselita nous partage son inquiétude : « Au-delà de l’aspect festif, le Chouval Bwa sera t-il un jour reconnu en sa qualité de patrimoine culturel de la Martinique et des Antilles ? Car le cheval peut s’essouffler si nous disparaissons… ». Alors plus que jamais, les dons et koudmen sont toujours les bienvenus conclut-elle. Afin que ce cheval de bois tourne, tourne et continue de chanter pour les enfants du monde entier… Comme le chantaient Claude et Joselita.

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