Depuis 2005, la Ville de La Trinité organise Rabouraj, un festival pluridisciplinaire qui valorise « l’expression des arts et de la culture en langue créole ». Claude Marlin en tant que Directeur du Pôle Animation du Territoire en charge des Affaires culturelles de la Ville de La Trinité est le potomitan de cette manifestation. Texte Willy Gassion – Photo Pierre de Champs
Pourquoi avoir appelé ce festival Rabouraj ?
Claude Marlin : Le terme Rabouraj est tiré d’un ouvrage en langue créole de Martinique de l’auteur et éditeur Jean-Marc Rosier intitulé Lélékou, paru en 2004. Dans ce roman on retrouvait le verbe Rabouré qui veut dire retourner la terre, rabrouer, cultiver.
En ce début de 21ème siècle, où l’on parlait à peine de Journée internationale du créole en Martinique, cette idée du travail de la terre, de sa préparation en vue d’obtenir une récolte abondante correspondait exactement comme par métaphore à ce que nous voulions faire auprès de chacun, auprès de chaque Martiniquais. Il s’agissait alors de préparer les esprits, de créer un éveil des consciences afin de faire accepter de tous le créole comme une langue à part entière et comme un élément important et fédérateur du patrimoine martiniquais.
« Il s’agissait de créer un éveil des consciences afin de faire accepter de tous le créole comme une langue à part entière et comme un élément important et fédérateur du patrimoine martiniquais. »
Comment le festival Rabouraj participe-t-il depuis sa création en 2005 à la valorisation et à la transmission de la langue créole ?
Dans sa conception même, depuis 2005, Rabouraj s’est voulu être une vitrine incontournable pour les créoles à base lexicale française de manière générale et pour le créole martiniquais en particulier, permettant aux auteurs, écrivains, chercheurs, d’échanger, d’exposer et de présenter leurs travaux au plus grand nombre, dans une ambiance festive, de festival valorisant l’expression des arts et de la culture en langue créole.
En quoi le créole, langue vivante, parlée, chantée, et de plus en plus écrite (littérature) a-t-il besoin d’être défendu ? Par quoi est-il menacé ?
Il est important de défendre la langue créole, cette langue fait partie de notre ADN en tant que peuple. Oui, la langue créole est menacée notamment par ce mécanisme que l’on appelle la décréolisation, qui est le fait que le créole perde de sa substance en se laissant pénétrer massivement par le français. Il y a certes un compagnonnage évident entre le français et le créole mais celui-ci est plutôt défavorable au créole.
« La langue créole est menacée notamment par la décréolisation, le fait que le créole perde de sa substance en se laissant pénétrer massivement par le français. »
La valorisation et la transmission de la langue passent aussi par la préservation du monde créole en tant que mode de vie et d’espace social… le festival Rabouraj se préoccupe-t-il de tout ce qui se passe autour de la langue créole ?
Absolument, car le centre d’intérêt est plus large que celui de la langue, il concerne, la peinture, la musique, la danse, la pharmacopée, l’art culinaire, en fait tous ces éléments qui forment notre singularité et contribuent dans notre relation au monde à notre participation au « diversel ».
Le festival Rabouraj a-t-il aussi pour objectif de placer le français et le créole sur un plan d’égalité ou cherche-t-il à inverser la diglossie français-créole telle qu’on la connaît ?
Il ne s’agit pas d’opposer les deux langues mais comme le dit souvent Daniel Boukman, auteur et militant culturel en parlant de ces dernières : « Le français en Martinique est assis sur un splendide fauteuil tandis que le créole est assis sur un petit banc ». Il importe que nous arrivions à asseoir le créole comme le français sur un fauteuil tout en laissant de la place aux autres langues comme l’anglais et l’espagnol. La Martinique est située dans une région, le bassin caribéen, où être polyglotte s’avère être une nécessité.
« Il importe que nous arrivions à asseoir le créole comme le français sur un fauteuil tout en laissant de la place aux autres langues comme l’anglais et l’espagnol. »
Une semaine annuelle dédiée à la langue créole, et le reste du temps… est-ce une langue laissée à l’abandon ?
Pour la ville de La Trinité, organisatrice sur son territoire du Rabouraj, cet évènement culturel est un élément incontournable du calendrier annuel des animations et le point culminant du travail fait tout au long de l’année pour la promotion de la culture martiniquaise et de la langue créole.
Au nombre de ces actions nous pouvons citer : l’ouverture d’ateliers d’écriture créole, l’organisation des jounen tradision péyi où il s’agit de mettre en lumière pour les scolaires, les arts et les traditions populaires du pays Martinique, les efforts faits sur l’affichage bilingue dans les services municipaux, l’introduction et l’utilisation du créole au sein de l’administration lors des réunions de services, des conseils de direction, des bureaux et conseils municipaux ainsi que l’accueil bilingue des administrés.
Il n’en demeure pas moins que de manière générale, même si la langue créole reste encore fréquemment pratiquée, la question de son apprentissage demeure très importante afin d’éviter les risques d’une dilution ou d’une disparition trop rapide.
« La question de l’apprentissage du créole demeure très importante afin d’éviter les risques d’une dilution ou d’une disparition trop rapide. »
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