Sylviane Cédia, chanteuse guyanaise

Sylviane Cédia, de gaieté de chœur

On l’imagine avec son béret, son grand manteau et ses petits souliers en cuir remonter les rues de Paris, guitare à la main…

Hier soir, comme beaucoup d’autres soirs en ville, la jeune interprète a fait des émules avec sa voix argentine si justement arrondie par ses rythmes lointains. Le duo qu’elle forme avec son acolyte, le musicien Cyril Aventurin, est digne d’un scénario de Truffaut, briguant sur une scène improvisée dans un cabaret ou un bistrot, deux artistes drôles, aux versants de vie improbables, sans piano, sans cymbales, un steel band et juste deux âmes, riant gaiement à la vie, et à la vue des passants.

Nous sommes en 1974, Sylviane a à peine vingt ans.

La jeune femme porte déjà en elle, cette joie d’exister et ce feu ardent. Qu’importe les regards, elle ne retient que les applaudissements avec ce vive sourire qui la caractérise encore.

Au Petit Conservatoire de la chanson de Mireille où elle vient d’entrer ce matin, d’autres comme elle, ont de la voix, du coffre et ce certain bagout, dont la directrice et professeure de chant raffole. Mais pas le temps de s’étendre, ni de faire connaissance, ça y est, c’est déjà son tour.

Dans la grande salle blanche, aucun rideau d’apparat, mais juste pour témoin, la scène. Et Madame Mireille devant elle, avec sa coupe Colette, qui lui demande gentiment, chantez-moi ce que vous êtes. Sylviane, qui s’était appliquée à réviser trois titres de son répertoire, avait décidé, après la grande Maritza de Sylvie Vartan et le sublime Killing me softly de Roberta Flack, d’entamer une biguine de chez elle, une mélodie peu connue ici, mais ô combien importante pour elle, La Ro Maroni.

Debout sur ses deux jambes, le buste droit et les poumons remplis d’air, elle s’était mise, sans trembler, et à coup de grandes respirations bien scandées, à chanter à huit mille kilomètres de chez elle. La Guyane. À ce moment-là, le temps s’était arrêté, médusé, il s’était rempli d’une liqueur saupoudreuse, faite de relents du passé, d’abrégés du présent, et d’autres sons perdus qui, en un instant retrouvés, redonnaient toute leur force aux bruissements du bout du monde.

« Sé la Guiyàn ki ka nouri tout mélodi-ya ki ka rivé annan mo tet a »

À cet instant précis, sur la pointe des pieds, Sylviane revenait à Maripasoula, à Saint-Laurent du Maroni, elle et sa voix voguaient au-dessus du fleuve, traversaient les terres rougies, et s’agrippaient aux pilotis de sa maison d’enfance. De là-bas, père et mère fredonnaient dans la pièce principale, et du dehors, on entendait courir les autres frères et sœurs à travers les arbres. Le soir venu, quelquefois sur un vinyle de biguine, de polka ou de kalanda, on frappait les dés et on poussait la mise en abime avec le jeu des sept familles. Et puis vite, après les rires, il fallait aller se coucher pour préparer l’avenir.

La suite, c’est une guitare offerte par ses parents à neuf ans, c’est le premier prix de chant à la grande fête traditionnelle de Saint-Laurent, puis en 1969, le grand concours de Cayenne, suivi de l’Apollo sous les yeux de Bruno Arth en 1970. Elle s’en souvient comme si c’était hier, le Nous lé rivé Cayenne, mais surtout le Dido et le titre Lui, qui à bâton rompu avait fait jaillir ses premières amours.

Et puis, à l’âge de dix-sept ans, l’océan s’étend : toute la famille Cédia déménage en France hexagonale. Ici, il faut s’habituer à ce que les tours parisiennes reprennent le doux mot de paysages. Et ici, la Gare du Nord devient le nouveau rite de passage. Sylviane tient bon. Elle n’a pas le choix. De projets en concours, ses proches l’accompagnent et on doit à une Tante Zélie, l’audition du fameux jour J.

Alors qu’elle chante, elle ne sait pas encore que les années qui suivront donneront lieu à seize disques solo et des centaines de concerts aux quatre coins du monde. Sur scène avec les Oyampis, les orchestres NSB mais aussi Galaxie. Elle ne sait pas encore les enregistrements avec ses Messieurs et Mesdames, Edith Lefel, Malavoi, Dédé Saint-prix et Al Lirva. Elle a en germe, mais seulement en germe, les titres Bois d’amour, Nous les Femmes, La Guyanaise, Horizon Lanmou ou encore Aimer qu’elle dédiera à ses proches et à son public.

Ce jour-là, elle ne se doute pas que le ciel de Paris l’invite, et que la Guyane, avec elle, s’apprête à entrer dans la danse. Pitit mo Pitit, Sylviane recommence à chanter. Pitit mo Pitit, Sylviane recommence à sourire.

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