Le MACTe n’est pas mort ! Telle l’Hydre de Lerne, l’institution renaît encore et toujours. Fermé pendant six mois à cause d’une crise de gouvernance, le MACTe a rouvert avec à sa tête Laurella Yssap Rinçon, sa directrice générale, déterminée à faire du MACTe une institution qui ressemble aux Guadeloupéens. « Chacun de nous a la responsabilité de porter le MACTe parce que c’est de nous qu’il s’agit. » – Texte Willy Gassion, Photo Lou Denim
Vous affirmez « le monde nous regarde avec le MACTe, (…) nous devons reconstruire notre image et renverser le stigmate. » Quelle image de nous la crise de gouvernance du MACTe a-t-elle donnée au monde ?
Laurella Yssap-Rinçon: Ce qui sort de la crise de gouvernance, c’est que le MACTe c’est nous, c’est notre image, l’image qu’on donne de nous, et l’image que nous avons donnée de nous pendant ces six mois est catastrophique. En mettant la directrice au pilori, c’est l’institution qui a été atteinte et maltraitée, par conséquent c’est l’image des Guadeloupéens qui a été mise à mal.
Malgré tout, ce qui a aussi été perçu de cette crise de gouvernance au national et à l’international, c’est l’immense mobilisation des artistes et des Guadeloupéens qui se sont exprimés spontanément pour dire leur opposition à ce qui était en train de se passer. Ils ont dit non, ce qu’il se passe au MACTe ce n’est pas nous, et cette attitude-là a un peu rétabli notre image. Utilisons cela positivement pour permettre à tous ces gens, anonymes et artistes, de s’exprimer cette fois sur ce qu’ils attendent de l’institution.
« Dès son inauguration en 2015, le MACTe a été installé comme une institution d’envergure internationale, mais peut-être a-t-il manqué dès cette phase, l’implication des Guadeloupéens et de la communauté locale. »
Vous appelez à la renaissance du MACTe à travers un grand chantier que vous initiez avec un cycle de réfexions et d’échanges. Que disait le MACTe et qu’il ne doit plus dire aujourd’hui ?
Dès son inauguration en 2015, le MACTe a été installé comme une institution d’envergure internationale, rappelez-vous la présence de chefs d’états africains et de la Caraïbe, mais peut-être a-t-il manqué dès cette phase, l’implication des Guadeloupéens et de la communauté locale.
« Quand on lit les commentaires et qu’on écoute les gens, on s’aperçoit qu’ils ne se retrouvent pas dans ce qu’est le MACTe. »
Parce que le MACTe est situé, parce qu’il est sur le site de la plantation, il a une obligation supplémentaire. Ce que ne dit pas le MACTe depuis son ouverture, c’est Ki moun nou yé, quand on lit les commentaires et qu’on écoute les gens, on s’aperçoit qu’ils ne se retrouvent pas dans ce qu’est le MACTe. Il est vrai que c’est une équipe de scénographes professionnels venus de France qui a conçu le MACTe, ils ont leur perception de l’histoire de l’esclavage qui n’est pas celle des Guadeloupéens.
Il y a des critiques précises et fondées sur, par exemple, le dispositif qui fait vivre l’expérience de la cale du bateau, les visiteurs ont été extrêmement choqués de marcher sur les esclaves… Le plasticien Alexis Peskine notamment, avait réagi sur la figure de Napoléon exposée en majesté, il ne comprenait pas cet hymne à Napoléon et avait même proposé en lieu et place une grande photo d’un personnage résistant à l’esclavage.
Par ailleurs, cette exposition a des qualités et une de ses grandes qualités est de nous permettre d’instaurer un dialogue, de confronter ce qu’elle présente à d’autres visions et peu d’expositions permettent cela.
« Nous allons faire évoluer l’exposition permanente avec des artistes. Il n’y a plus d’expositions figées, cela n’existe plus dans aucun musée du monde. »
Cette exposition est un peu un livre philosophique ouvert, un concept qui se déploie dès le premier texte où on nous dit que la première femme noire arrivée en Guadeloupe est la Vierge Marie ; phrase extrêmement provocatrice avec un certain humour, mais est-ce que tous les visiteurs vont la lire avec le recul nécessaire.
Cette première phrase nous indique bien qu’on ne rentre pas dans une exposition historique mais dans la démonstration conceptuelle de ceux qui ont bâti la scénographie du MACTe. Philippe Thomarel confronte cette première phrase en lui opposant des petites poupées noires, blanches, métisses pour dire, oui il y avait des Saints catholiques mais que 90 % de la population sur la plantation étaient africains.
Voilà ce que dit aujourd’hui l’exposition permanente et que nous allons faire évoluer avec des artistes, il n’y a plus d’expositions figées, cela n’existe plus dans aucun musée du monde.
« Avec MACTe an Déwò ou Macte Mobile, nous souhaitons aller sur les places en commune, déplacer le musée hors les murs, aller à la rencontre de la population. »
Le chantier intellectuel et culturel de refondation du MACTe repose sur cinq piliers dont certains avaient déjà été installés avant la fermeture de l’institution…
En effet, le chantier s’appuie sur cinq piliers : MACTe an Pawòl, MACTe 3.0 pour les 15-25 ans, MACTe Ti Moun, MACTe Lab et MACTe an Déwò.
C’est le MACTe an Pawòl, lang é kilti kréyol, qui débute le chantier avec un travail sur la langue créole sous l’égide d’Hector Poullet.
Avec MACTe an Déwò ou Macte Mobile, nous souhaitons aller sur les places en commune, déplacer le musée hors les murs, aller à la rencontre de la population.
« Le propos est de construire avec les gens, les associations, les artistes, ce sont des projets à développer sur le long terme. »
MACTe Lab est un laboratoire d’innovation et de recherches, des résidences d’artistes et de chercheurs qui nous permettent de réfléchir sur un fonds de collection. A ce propos, le MACTe détient le fonds Glissant constitué d’une centaine d’œuvres qui sont les collections des peintures de Glissant initialement destinées à son projet d’un musée des Amériques, cette collection n’a jamais été montrée.
MACTe Ti Moun, c’est pour l’instant un petit livre sur le patrimoine de la Guadeloupe pour enfants, mais à terme il s’agira d’un espace dédié aux enfants au sein du MACTe. Tout cela va participer au nouveau MACTe, le propos est de construire avec les gens, les associations, les artistes, ce sont des projets à développer sur le long terme.
« Pendant six mois, nous allons recueillir propositions et consultation selon une méthode participative. On donne à tous l’occasion de réfléchir ensemble à ce que le MACTe devrait être, le recentrer sur ses missions. »
Vous dites que « chacun de nous a la responsabilité de porter le MACTe parce que c’est de nous qu’il s’agit ». À quoi souhaiteriez-vous que le MACTe ressemble ?
C’est pour cela que pendant six mois, nous allons recueillir propositions et consultation selon une méthode participative. Nous invitons chacun à faire cause commune autour du MACTe, à se l’approprier.
On va poser une question très simple, qu’est-ce que le MACTe ? On donne à tous l’occasion de réfléchir ensemble à ce que le MACTe devrait être, le recentrer sur ses missions. On ne va pas pouvoir tout changer mais on va soumettre des propositions au conseil scientifique qui va ensuite rendre des avis au conseil d’administration.
Les propositions des artistes vont enrichir l’exposition permanente, on a déjà eu les performances de Wozan Monza, Victor O, Fred Deshayes, Maxence Deshayes, Willy Mathé, Fanm Ki ka, Raymonde Pater Torin, à l’occasion de l’opération O MACTe Lalin ka kléré, pendant la nocturne du MACTe, et chaque fois l’exposition était chargée de leur présence, de leurs mots qui résonnaient, de leurs sons et de leur souffle.
Je suis persuadée que c’est ainsi que nous devons aborder une exposition, qu’elle est précisément là notre contribution à la définition du musée.
« Charger l’exposition de notre patrimoine culturel immatériel, c’est notre façon de vivre le musée et de nous présenter au monde, c’est Nous et c’est ainsi que le MACTe peut nous ressembler. »
Charger l’exposition de notre patrimoine culturel immatériel, c’est notre façon de vivre le musée et de nous présenter au monde, c’est Nous et c’est ainsi que le MACTe peut nous ressembler. En ce sens, la place de la langue créole est primordiale car porteuse de notre mémoire, elle est le pivot de notre réflexion et de notre regard sur le monde. Nous pensons, rêvons, créons en deux langues.
Le public pourra-t-il revoir au MACTe des expositions de renommée internationale comme Le modèle noir de Géricault à Matisse ?
Pour recevoir des expositions d’autres institutions, nous devons d’abord continuer à stabiliser le MACTe. Ce type de projets n’est possible que dans une institution stable.
Avant que la crise de gouvernance ne paralyse les activités du MACTe de mars à septembre dernier, le Metropolitan Museum de New York, le musée du quai Branly et le Musée des civilisations noires de Dakar avaient donné leur accord pour un partenariat avec le MACTe autour d’une exposition sur les grands empires africains avant l’esclavage : « Sahel, art et empire sur les rives du Sahara », programmée initialement pour le mois de décembre 2021.
« Je voudrais que le MACTe soit un endroit où, tous les deux ans, on accueille une grande exposition de dimension internationale, que la nôtre voyage, que ce soit un tremplin pour nos artistes locaux. »
Je voudrais que le MACTe soit un endroit où, tous les deux ans, on accueille une grande exposition de dimension internationale et que nous en produisions une tous les deux ans et que la nôtre voyage, que ce soit un tremplin pour nos artistes locaux, que par nos échanges et partenariats avec d’autres institutions, qu’on puisse présenter nos artistes dans des institutions internationales.
Par ailleurs, j’aimerais que le site paysager autour du MACTe soit développé et valorisé dont le Morne Mémoire ou la plage qui se trouve à proximité, notre BodlanMACTe.
Et qu’enfin, que nous soyons un vrai soutien à la création et un espace d’impulsion des politiques culturelles.
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