Jocelyne Béroard

Se Promener en Jocelyne Béroard

Jocelyne Béroard est là, tout près de nous et du soleil. « Le soleil c’est l’intensité, la liberté, l’espoir, c’est quand les choses s’annoncent belles, quand les rêves sont permis. » La chanteuse de Kassav est chez elle, dans ses pays :  la Martinique qui l’a vue naître et la Guadeloupe de Jacob et de Patrick Saint-Eloi. Elle est là pour promouvoir Loin de l’amer, le livre qu’elle a coécrit avec Bertrand Dicale. Un peu plus de 300 pages pour retracer l’épopée du groupe qui a inventé le zouk. Elle est là et elle écoute les témoignages d’affection, elle est là et elle mesure l’importance du groupe dans notre quotidien : « Les gens me racontent des moments de leur vie marqués par nos chansons ». L’interprète de Siwo est là juste pour dire merci. « Être aimé est un cadeau que tu ne peux pas refuser, tu es obligé de dire merci, si tu ne dis pas merci, c’est que tu n’as rien compris. » Texte Willy Gassion – Photo Lou Lou Denim – Retouche/ composite Vahakn Vorperian 

« Beaucoup m’ont dit : “vous nous avez rendu fiers, vous faites partie de nos vies”. Ce sont des témoignages magnifiques, c’est magique ! » 

Fragilité des choses 

 « Je ne sais pas réellement quel public vient me voir quand je suis en solo, cependant j’ai remarqué lors de la promotion de mon livre que le public était largement féminin. J’ai vécu des moments très touchants lors des signatures, certaines personnes étaient dans une très forte émotion et n’arrivaient pas à retenir leurs larmes. Il y avait des gens de tout âge dont des enfants qui m’appelaient Tatie Jo. Elles n’étaient pas émues par moi, c’était, pour ces personnes, l’occasion de dire enfin ce qu’elles avaient envie de dire à Kassav. Ce n’est pas à moi directement qu’elles s’adressaient mais au groupe. Avec le décès de Jacob survenu l’année dernière, il y a comme une espèce de prise de conscience sur la fragilité des choses, les gens se disent : “Kassav peut s’évanouir à n’importe quel moment”. Ils ont besoin de dire le bonheur qu’ils ont eu. Beaucoup m’ont dit : “vous nous avez rendu fiers, vous faites partie de nos vies”. Ce sont des témoignages magnifiques, c’est magique ! » 

« Nos gens avaient besoin d’être représentés, ceux qui ont vécu le premier Zénith de Paris l’ont vécu comme un moment historique quelle que soit la couche sociale à laquelle ils appartiennent. »

Le Zénith, un moment historique 

« Nos gens avaient besoin d’être représentés, ceux qui ont vécu le premier Zénith de Paris l’ont vécu comme un moment historique quelle que soit la couche sociale à laquelle ils appartiennent. C’étaient les années 1980, le Zénith de Paris venait d’être construit. Les artistes qui à l’époque passaient au Zénith étaient d’immenses stars puis nous sommes arrivés et nous l’avons fait. Ce premier Zénith est un souvenir extraordinaire pour tous ceux qui étaient présents. » 

Tous antillais 

« Ce qui importait c’est que nous venions tous du même endroit du monde, nous étions tous antillais. On était Kassav, point. On n’a jamais compté combien d’entre nous était de la Guadeloupe ou de la Martinique, cela n’a jamais existé. Quand on a remanié le groupe en 1995, le choix des musiciens s’est fait en fonction de leur réputation et de leur talent, ils devaient être suffisamment sociables pour accepter de faire partie d’un groupe et de participer à de longues tournées avec les mêmes personnes. »

« On s’est demandé ce qu’il manquait, ce qu’il fallait réparer, que fallait-il raconter pour aider les gens à sourire, à monter une marcher, à avoir envie d’aller plus loin, à réussir. »

Une musique ancrée 

« Il fallait parler vrai, notre musique devait plaire à toutes les couches de la société de chez nous, elle devait être moderne et ancrée à nos musiques premières, à notre histoire et à notre culture. En faisant ainsi on a décidé d’éduquer tout en nous éduquant nous-mêmes. On s’est demandé ce qu’il manquait, ce qu’il fallait réparer, que fallait-il raconter pour aider les gens à sourire, à monter une marcher, à avoir envie d’aller plus loin, à réussir. Une telle démarche a une connotation politique même si nous n’avions absolument pas envie de faire de la politique et d’être courtisés par des responsables politiques quel que soit le camp. On s’adressait à tout le monde. On voulait être un groupe populaire et dire aux gens qu’ils pouvaient se regarder, se sourire et se dire bonjour ; et c’est ce qu’ils ont fait lors de nos concerts, ils étaient tellement heureux, ils se tenaient la main. On ne proposait pas de solutions, on proposait une réflexion. »

« On fait attention à la langue de l’Autre, on doit aussi faire attention à notre langue. On s’autorise des fautes en créole qu’on ne s’autorise pas en français, pourquoi ? »

Le créole résonne en nous 

« On fait attention à la langue de l’Autre, on doit aussi faire attention à notre langue. On s’autorise des fautes en créole qu’on ne s’autorise pas en français, pourquoi ? Parce qu’on n’a pas appris la graphie créole qui n’est pourtant pas compliquée hormis quelques subtilités. Le français c’est la langue des échanges internationaux, quand tu écris en créole, quand tu écris dans ta langue, c’est ton âme qui parle. Notre imaginaire est créole, il n’est pas français. La langue qui parle de nous, qui résonne en nous, c’est le créole. »

« Quelqu’un de plus compétent que moi m’aide à progresser, c’est cela qu’il faut qu’on réussisse à admettre. Chez nous, on n’aime pas la réussite de l’Autre et ce problème-là il faut qu’on le règle avec nous-mêmes. »

Être acteur du changement 

« Je dis tous les jours que si on veut que les choses soient différentes, on doit se préparer à être l’acteur du changement. Comment inspirer dans ce qu’on fait ? Si tu veux que le monde change autour de toi, commence d’abord par changer ta façon de voir ce monde-là. Plutôt que d’être dans la critique, l’assassinat, que décide-t-on de faire ? Les états des lieux ont déjà été faits, que fait-on maintenant sans attendre que l’Autre agisse à notre place ? Comment participe-t-on au changement quand on est artiste ? C’est dans la création, dans ce qu’on dit, qu’on fait, que tu transmets et que tu aides l’Autre à avoir envie d’atteindre voire de dépasser ton niveau. Quelqu’un de plus compétent que moi m’aide à progresser, c’est cela qu’il faut qu’on réussisse à admettre. Chez nous, on n’aime pas la réussite de l’Autre et ce problème-là il faut qu’on le règle avec nous-mêmes. L’Autre qui réussit est un exemple, sa réussite est une main qui t’amène vers le haut. On passe notre temps à être contre tout le monde, à critiquer, à accuser, mais nous qu’est-ce qu’on fait ? ki sa nou fè nou menm ? c’est cela qui m’intéresse… »

Faire vivre l’âme de Kassav 

« Kassav continuera de vivre si les gens le décident, si les gens continuent de s’intéresser au groupe et à l’aimer. Bob Marley est mort et sa musique continue d’exister parce que le public continue d’écouter ses chansons. Se pose la question de la présence scénique, la réalité est que Jacob est décédé et que Jean-Philippe a fait un AVC, de fait Kassav tel qu’on l’a connu sur scène n’est plus. Nous vieillissons tous, on ne pourra plus faire des tournées telles qu’on les faisait. Cependant plein de choses, comme par exemple des expositions, restent à imaginer pour faire vivre encore l’âme de Kassav. Il existe 40 ans de vidéos, de documentaires, de photos, et le répertoire de Kassav est là. Ceci dit il n’est pas interdit de continuer à aller sur scène et de jouer les morceaux de Kassav si on en a envie, si on en est capable, si cela peut plaire au public. »

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