La maladie la prive d’écriture. “Je porte en moi des idées que je suis désormais incapable d’exprimer.” Bien que diminuée, Maryse Condé a accepté de répondre à nos questions. Le pouvoir de la littérature, son rapport à la Guadeloupe et Désirada, son roman dont elle a fait une pièce de théâtre, l’auteure de L’Évangile du nouveau monde se confie avec Nathaly Coualy, la comédienne principale de Désirada. Texte Willy Gassion – Illustrations Orane Phedon
Lors de la remise du Prix Mondial Cino Del Duca de la Fondation Simone et Cino Del Duca – Institut de France, vous avez déclaré “être fière et heureuse parce qu’on entend peu la voix des femmes et jamais celle de la Guadeloupe, ce petit pays d’où vous venez”. Que dit votre voix qui, selon vous, n’est pas suffisamment entendue ?
Maryse Condé : Ma voix dit que sur le plan féminin il est très difficile de répondre à l’image de soi-même que l’on porte en soi et d’être pareil au modèle dont on a rêvé. Il faut beaucoup d’effort et de doigté. Sur le plan politique, la différence est encore plus grande et difficile à atteindre. Entre un pays colonisé qui doit toujours suivre le modèle imposé par l’Occident alors que l’on voudrait être libre et différent et le rêve de ne pas être simplement un département d’outremer.
« Ma voix dit qu’il est très difficile de répondre à l’image de soi-même que l’on porte en soi et d’être pareil au modèle dont on a rêvé. »
Vous dites que les histoires que vous écrivez “ont la prétention de changer le monde, le rendre plus tolérant, plus harmonieux, plus respectueux des différences. Je rêve qu’un jour la terre soit ronde”. L’écriture a-t-elle réellement ce pouvoir ? Peut-elle réussir là où, dit-on, la politique a échoué ?
M.C. : La littérature est magie et pouvoir. Malheureusement les livres qu’on écrit ne sont pas toujours entendus et compris. Quand j’ai exprimé le désir de devenir un écrivain, d’abord cela n’a pas été compris, j’ai dû m’acharner avant de réussir.
Un écrivain cesse-t-il d’écrire ?
M.C. : Non. Malheureusement ma vue, qui devient de plus en plus mauvaise, m’interdit d’écrire. Je dois dicter à mon mari ou à une secrétaire. Cela rend les choses encore plus compliquées. Personnellement, je porte en moi des idées que je suis désormais incapable d’exprimer.
Vous avez adapté Désirada, votre roman, pour le théâtre, pourquoi ce roman plutôt qu’un autre ?
M.C. : C’est grâce à l’intervention de la comédienne Nathaly Coualy à qui ce roman plaisait tout particulièrement, mais j’ai adapté d’autres de mes textes. Par exemple, Moi Tituba, sorcière noire de Salem. J’ai aussi écrit des textes de théâtre qui n’étaient pas des adaptations. Par exemple : Comme deux frères ou La Mort d’Oluwemi d’Ajumako.

Nathaly Coualy, vous portez Désirada, comment s’est faite la rencontre avec Maryse Condé ?
Nathaly Coualy : Jacky Dahomay nous a présenté Maryse et moi, c’était en Guadeloupe. J’ai eu toute suite une grande admiration et un fort attachement. J’ai très vite eu envie de porter ses mots. Quand j’ai eu fini de jouer mon one woman show, je lui ai demandé si elle voulait bien m’écrire un seule en scène. Elle m’a proposé une adaptation de son roman Désirada que j’ai beaucoup aimé et l’aventure a commencé ainsi.
Dire les mots de Maryse Condé quand on est comédienne et Guadeloupéenne, comment vivez-vous cette expérience ?
N.C. : C’est un honneur, une grande joie et un exercice difficile que de jouer les mots de Maryse. Je n’ai pas touché au texte, j’ai voulu le garder tel quel, je joue sa plume, ses intentions, ses mystères, ses franchises… J’apprends énormément de cette pièce, c’est comme avoir Maryse et sa force en moi car jouer trois personnages de femmes Guadeloupéennes, ce n’est pas rien ! C’est une expérience magnifique, un voyage dans un autre monde qui est aussi le mien. C’est une grande chance que je vis comme une bénédiction.
« J’apprends énormément de cette pièce, c’est comme avoir Maryse et sa force en moi car jouer trois personnages de femmes Guadeloupéennes, ce n’est pas rien ! »
Étiez-vous, avant cette pièce de théâtre, une lectrice de Maryse Condé ?
N.C. : J’avais lu Désirada, mais il y avait tous les livres de Maryse Condé chez mes grands-parents, c’était comme habiter avec eux, notamment avec Ségou ; ou eux qui nous habitaient pleinement. Alors quand Maryse m’a proposé Désirada, il n’y avait pas de hasard… Aujourd’hui, La Vie sans fards reste près de moi, c’est celui que j’emporterais si je ne devais en choisir qu’un, c’est toute sa force et sa liberté de femme mises en lumière. Et puis tous les autres, ceux à lire et à relire.
L’adaptation d’un roman en pièce de théâtre, est-ce la continuité du roman ou est-ce une œuvre inédite qui dit autre chose ?
M.C. : C’est très difficile. Un roman peut se comparer à un fleuve profond dont on ne voit pas les bords. Pour passer à l’écriture d’une pièce de théâtre, il faut supprimer des épisodes, réduire les personnages tout en préservant le message qu’on veut partager avec le public. Le meilleur exemple que je pourrais fournir est La faute à la vie. Mais je n’avais pas écrit le roman que je portais en moi. C’était ma réflexion sur la vieillesse et le handicap.
Maryse, de Gordes, où vous vivez, gardez-vous un œil sur la Guadeloupe ?
J’essaie de garder un œil sur la Guadeloupe. Je n’ai pas changé d’opinion. Je demeure une indépendantiste résolue.
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