L’Autre nous impose sa définition de nous-mêmes. Depuis la colonisation, tout ou presque qui vient de chez nous et de nous est marqué du sceau du soleil donc du lointain, de l’exotisme, de l’accessoire. Selon Patricia Braflan-Trobo, docteure en sciences humaines et sociales, le soleil participe à notre construction identitaire mais pour autant malgré le clivage nord-sud et le regard qui exotise, nous devons nous « affirmer au monde avec ce que l’on est et comme on est, et nous penser de façon positive ». Texte Willy Gassion – Photo Cédrick-Isham Calvados
« J’ai envie de dire que le soleil fait partie de l’ADN des guadeloupéens, quelles que soient leurs origines. »
Que dit de nous notre rapport au soleil dans le travail, dans son organisation, dans le regard que nous avons de nous-mêmes ?
Patricia Braflan-Trobo : J’ai envie de dire que le soleil fait partie de l’ADN des guadeloupéens, quelles que soient leurs origines. Même si nous avons une expression en créole que j’aime beaucoup « an ba solèy cho la », nous ne rechignons pas à travailler ou à nous adonner à toutes les activités de la vie au soleil.
L’expression « solèy cho » résume, je crois, très bien l’appréhension des guadeloupéens de la façon dont le soleil peut être difficile à supporter particulièrement quand il s’agit d’exercer une activité demandant un effort physique, même de plaisir. Il est important de souligner que nos anciens et nos ancêtres ont su développer des stratégies pour cultiver en s’accommodant des exigences du soleil, en sachant comment planter, quoi planter, à quel moment de l’année et suivant quelle orientation en fonction de l’endroit du jardin où se lève ou se couche le soleil.
Il faut souligner aussi qu’en Guadeloupe, la vie est totalement adaptée au cycle du soleil. Les gens sont généralement des lève-tôt et la vie économique est calquée sur l’ensoleillement.
« Il faut juste s’affirmer au monde avec ce que l’on est et comme on est. Se dire comme on est, dire ce que l’on est, parler de sa terre, de sa culture, au lieu de perdre de l’énergie à vouloir combattre. »
Pourquoi selon vous, ce qui vient du sud peut se trouver minoré, folklorisé, « doudouisé » dans la bouche et le regard de l’Autre ? Comment montrer, démontrer qu’il n’y a pas de culture « plus culture » qu’une autre ?
La colonisation dès 1635 avait pour but de fournir à « la métropole » les produits dits exotiques comme le sucre, le tabac, le café, … donc on se rend compte que c’est une construction très ancienne donc profondément ancrée dans les mentalités. Le clivage nord sud n’est pas nouveau ainsi que tous les préjugés que les personnes du nord ont sur les personnes du sud qui seraient indolentes, nonchalantes et tout ce que nous entendons traditionnellement.
Les stéréotypes sont trop profondément ancrés dans les subconscients pour chercher à les combattre selon moi. Il faut juste s’affirmer au monde avec ce que l’on est et comme on est. Se dire comme on est, dire ce que l’on est, parler de (à partir de) sa terre, de (à partir de) sa culture, au lieu de perdre de l’énergie à vouloir combattre. Je pense que le groupe Kassav, plus grand groupe de musique français, qui est guadeloupéen est le parfait exemple de notre capacité à apporter au monde.
« Comme dans tous les peuples, il y a des divisions et c’est normal, cela fait partie du fonctionnement des relations entre êtres humains. »
Que devons-nous puiser en nous collectivement pour notre épanouissement ; le nôtre en tant que groupe et celui du péyi ?
J’aime bien rappeler que la Guadeloupe est un pays unique et le peuple guadeloupéen est un peuple unique. Pa ni dé kon nou o mond. La singularité et l’unicité de la Guadeloupe, de sa culture, de son peuple font que nous avons largement de quoi nous penser de façon positive et y trouver des éléments pour notre épanouissement collectif et personnel.
Comme dans tous les peuples, il y a des divisions et c’est normal, cela fait partie du fonctionnement des relations entre êtres humains. Nous, qui avons le pouvoir de nous faire entendre, devons contribuer à faire grandir nos concitoyens et à tirer des leçons de la vie en commun pour que nous grandissions aussi. C’est dans ces échanges, ces confrontations, ces désaccords et ces moments de concorde que nous puisons les éléments de notre épanouissement.
« La singularité et l’unicité de la Guadeloupe, de sa culture, de son peuple font que nous avons largement de quoi nous penser de façon positive et y trouver des éléments pour notre épanouissement collectif et personnel. »
Dernier ouvrage paru : L’Estime de soi des Noirs, éd. L’Harmattan