Oeuvre de François Piquet

Coup de projecteur sur les lauréats du concours Arts & Rhum

Pour la deuxième édition du Arts et Rhum organisée par le Comité du Tourisme des Îles de Guadeloupe (CTIG), 9 lauréats ont été sélectionnés pour présenter, au milieu du rhum, leur sensibilité artistique. Qui sont-ils ? – Texte Joséphine Notte, Photo Jude Foulard

YESWOO – Karukera

Conteur des rues

L'artiste YESWOO

Pour Yeswoo, les rues, les murs et les ponts sont comme des pages vierges. Vêtues de gris, ces toiles vides attendent qu’on les anime à coup de bombes et pinceaux, pour raconter des histoires. « La rue, c’est pour moi un musée à ciel ouvert. C’est mon endroit, là où je puise mon énergie, où j’ai besoin de m’exprimer. » D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Yeswoo est un urbain. Un coureur des rues, bercé par le rap et le hip-hop. Ses premiers graffs sont une quête d’identité. « J’ai commencé à graffer sur les murs, car j’avais besoin d’exister. »

Portrait réalisé par le graffeur

Aujourd’hui, après une vingtaine d’années à illustrer les murs de Guadeloupe, les graffitis de Yeswoo sont devenus des actes militants. Ses œuvres sont ponctuées de visages saisissants. Véritables énigmes à déchiffrer, elles hypnotisent. Comme des bandes dessinées grandeur nature, elles plongent dans des univers parallèles. Entre science-fiction, récits historiques et caricatures contemporaines.

Le graffeur de Trois-Rivières est un autodidacte inconventionnel : « les deux mots que je déteste le plus sont “joli” et “décoration”. Pour moi, le street-art n’est pas qu’esthétique. C’est de l’émotion et du chamboulement. C’est colorer le quotidien, faire réagir et rendre l’art accessible à tous. »

YOAN CABIDOCHE – Papa Rouyo

Pawolyé

Yoan Cabidoche, poète guadeloupéen

Chez lui, tout est spontané. Sa manière particulière de se raconter. Ses mille et une expériences de vies invraisemblables. Sa profession de « débrouillard ». Ses passions décousues. Son écriture « batarde ». À l’entendre parler, Yoan Cabidoche, est une mosaïque humaine. Loin du long fleuve tranquille, sa vie à lui est plutôt une myriade de ruisseaux vagabonds. « Je pense être l’écho de l’insularité, cette angoisse d’être isolé, coincé au beau milieu de l’océan. C’est de là que provient mon énergie créatrice, celle qui inspire chacun de mes mots. Quand j’écris, je m’évade. Je pars dans tous les sens. Avec l’écriture, tu peux aller où tu veux. »

Poésie Chants de canne de Yoan Cabidoche

Les mots, les phrases et les sons sont sa matière ; il en joue, faisant fi des règles bien strictes des vers et de la prose. Pour lui, sa poésie est à l’image de la Guadeloupe, « un style batard, mélangé et multilingue, inspiré par une histoire compliquée, illogique et improbable ». Son œil enfantin se cache dans ses rimes croisées, ses figures de style imagées, et ses réflexion légères teintées d’innocence.

Ce regard, il l’utilise pour être un penseur engagé, un Candide Guadeloupéen concerné par les thématiques douloureuses de sa société. Sur les pages blanches, sa plume mélange créole et français, spontanément le fil de ses pensées se déverse. Yoan Cabidoche est pawolyé. Son encre prend vie et ses mots transportent là où lui seul peut nous emmener.

SAMUEL GELAS – Bologne

L’Humaniste

Samuel Gelas, peintre guadeloupéen

L’Homme. Avec un grand H et dans toute sa complexité. Voici ce qui depuis plus de dix ans inspire Samuel Gelas dans son art visuel. À coup de pierre noire et d’acrylique, il peint et interroge. Une véritable exploration dans les méandres de nos sociétés humaines. Que nous manque-t-il pour vivre ensemble ? Pourquoi le choc des cultures ? Qu’est-ce que la nature humaine ? Des questions existentielles qu’il se pose à lui d’abord et puis à nous tous, citoyens du monde.

« Mon travail a une forte résonnance sociologique, mes œuvres sont une sorte d’étude sur tout ce qui constitue les hommes. De leurs origines à leurs souffrances, les histoires, les identités… Chaque aspect de l’être humain se raconte sur mes tableaux. » De « Blood Memories », à « Réunion » et « Jungle Sociale », les visages défilent, les bouts de corps s’exposent et les portraits solos ou en groupes interpellent.

Peinture de Samuel Gelas, pour le concours Arts&Rhum

Pour l’artiste, c’est une évidence : Bologne s’illustre par ses hommes et femmes. C’est de la « Famille Bologne » qu’il faut parler. Multiculturelle, multiethnique et dispersée à travers les âges, elle est liée par cette même passion : le rhum, ce si grand créateur de convivialité. Un cœur qui bat à l’unisson.

KEVIN DUBROMEL – Gwadinina

De noir vétu

Tout commence par du noir. Un noir profond et impénétrable. À travers l’objectif de Kevin Dubromel, l’exposition est réduite au maximum. Au début, on ne distingue rien. Un néant noir sur un écran d’appareil photo. « L’artiste peintre crée à partir d’une toile blanche, moi je fais l’inverse. Ma toile est noire et j’invite la lumière à se distiller sur mes clichés. »

Cette lumière, il en joue tel un marionnettiste, manipulant les faisceaux pour créer des œuvres photographiques où le clair-obscur est maître. Un jeu de lumière sur des nuances de noir qui révèle petit à petit des visages, des objets, des paysages… Tout un univers né du sombre. « Pour moi, la lumière, c’est comme de l’eau qui s’écoule. Mon appareil photo, c’est une sorte robinet que je règle pour contrôler ce qui s’invite sur mes portraits. J’y vais à l’instinct. »

Photographie de Kevin Dubromel

Chez Kevin Dubromel, pas de spots de lumière ni de flash élaboré. Toute la mise en scène de ses photos est faite de manière artisanale : entre lampe de bureaux, ustensiles de maison et divers accessoires. « Le plus important pour moi est de ne pas polluer une image avec des lumières d’ambiance. » On découvre alors « les coulisses » de ses photos. L’art de ses mises en scène maison et surtout une ingéniosité qui peut surprendre.

FRANCOIS PIQUET – Bielle

Inspirer l’harmonie

C’est dans les ruines de Darboussier que François Piquet s’est révélé. Un lieu de naissance symbolique qui inspire encore aujourd’hui la raison d’être de son art. « Darboussier, c’était un univers. C’était la Guadeloupe toute entière. Sa beauté, son savoir-faire, son histoire et ses blessures… C’était paradoxe, un cœur battant et humain, avec ses ombres et ses lumières. »

Profondément bouleversé par les cicatrices perdurant au cœur de la société guadeloupéenne, le sculpteur décide alors de construire, de ses mains, sa propre conception du monde. Sa manière à lui de réconcilier les identités collectives grâce à l’art populaire et commémoratif.

Créer du dialogue pour avancer ensemble plus soudé. Une quête de l’harmonie entre les Hommes, où chacun se comprend et se tolère. Avec les techniques de son voisin Moise qui tressait du bambou, François Piquet entrelace des lames de fer, les vestiges de Darboussier, à coup de pied de biche et de marteau.

Loin du luxe et de l’élitisme, ses œuvres sont pour la rue : « Tout le monde doit pouvoir être en relation avec l’art. Il enrichit à sa manière les relations humaines, glorifie le savoir-faire de nos mains, crée de la surprise et ouvre le champ des possibles. » Dans l’art de François Piquet, les vestiges du passé sont les socles de nos sociétés modernes. La « part des ancêtres », cet héritage que l’on porte tous.

Sur le même sujet | « Les Archipels du moi », par François Piquet

DOMINIQUE DESPLAN – Montebello

Sa Guadeloupe tant aimée

Le photographe guadeloupéen Dominique Desplan

« Ma Guadeloupe a disparu ! » Pour Dominique Desplan, photographe, le constat a un ton presque tragique. La Guadeloupe qu’il a tant aimée, celle des champs et des artisans, aujourd’hui n’est plus. « Petit à petit, notre identité se voit annihiler par la mondialisation ; nos savoir-faire, notre joie, nos valeurs et notre fierté se perdent. Et toutes les couches de la société guadeloupéenne ne sont pas intégrées dans cette transition. »

Cette déperdition, l’artiste originaire de Pointe-Noire en parle dans ses photos, une vocation révélée par sa capacité à développer un langage unique : celui des émotions et des images. Tout de noir et de blanc, ses clichés détournent des scènes et objets ancestraux.

Une photographie de Dominique Desplan

L’ancien flirte avec le moderne. La puissance de ses portraits prend au cœur et aux yeux. À travers l’objectif de Dominique Desplan, rien n’est surjoué, les scènes de la vie qu’il illustre sont belles par leur simplicité. Une ode à cette Guadeloupe d’antan qu’il fait revivre. Pour transmettre, le photographe explore les profondeurs de ses sujets : les histoires cachées, la fragilité et le doute, toutes les petites blessures qui font l’unicité d’une image. Pédagogue, il accompagne ses créations de textes narrant l’histoire capturée dans sa pellicule. Un travail méticuleux et passionné. Un voyage initiatique vers nos racines.

ALFREDUS – Père Labat

L’œil caribéen

Alfrédus, artiste peintre guadeloupéen

Ses premiers coups de pinceaux sont inspirés par un manque. Un manque terrible du ciel bleu de Guadeloupe. À Bordeaux, par temps gris, Alfredus peint Joseph à la fenêtre de sa kaz colorée. À l’époque où, petit, il courait les champs et les mangroves de la douce campagne de Saint-Félix ; Joseph et sa kaz faisaient partie du décor. Vingt ans plus tard, les œuvres d’Alfredus sont partout, colorant notre quotidien de mille teintes chatoyantes.

D’île en île, sur les murs de nos villes, au détour des chemins et dans les salles d’expo, ses créations invitent à l’évasion. Une immersion dans des univers haut en couleurs, où les tons et techniques, les émotions se déclinent astucieusement.

Peinture de l'artiste Alfredus pour le concours Arts&Rhum

Des réalisations jouant sur le réalisme et l’abstrait entre spray de bombes, traits de pinceaux et peinture acrylique au couteau. Animé par une frénésie créative, l’artiste peintre crée ses propres courants : ses portraits devenus iconiques pour « Matrices de métissages » ou encore la musique en peinture avec « Partitions de couleurs » où Alfredus propulse l’ingéniosité de son art en déconstruisant la frontière entre le son et l’image par la synesthésie.

À présent, l’artiste a ses yeux braqués sur l’horizon, par-delà les océans où il rêve d’exporter son art, à la conquête de l’international avec dans ses valises la poésie de nos paysages caribéens.

MAXIME RONEL – Longueteau

Créateur d’âmes

L'artiste Maxime

Personne ne voit les objets comme Maxime Ronel. Dans ses yeux à lui, ce sont des êtres presque vivants, porteurs d’une histoire ou de petits défauts qui les rendent fragiles. Dotés d’une mémoire, ils communiquent, interrogent et revendiquent. Comme leurs utilisateurs, ils s’usent et vieillissent. Leur création n’est pas anodine : « Faire naître un objet, c’est prendre la responsabilité de son intégrité et son encombrement dans le monde. Certains objets ont leur place et d’autre ne l’ont plus, une réalité contemporaine que l’on connait tous ».

Scénographe et designer mobilier, Maxime écrit l’espace et ce qui l’en compose. Ses créations allient ingéniosité, biomorphisme et messages engagés. L’amour, l’humanité, la rupture de l’objet industriel, l’ode au savoir-faire des mains…

Chaise en bagasse réalisée par Maxime Rone

Sa muse a des allures de chaise, une pièce de mobilier qui n’a jamais cessé de l’inspirer. L’histoire de Longueteau, il la raconte avec de la bagasse : « Mon œuvre s’intègre dans le cycle de production de l’usine. C’est une exploitation familiale et autosuffisante, du champ à la mise en bouteille, elle gère son terroir d’une façon unique. Ce qui en découle, c’est la bagasse, des restes de canne rouge et de canne bleue. Les essences de leur rhum. L’essence de mon œuvre. »

OLIVIER VÉRIN – Reimonenq

Sale punk aux doigts de fée

Olivier Vérin, dessinateur

Du rock’n’roll, des touches féériques et de la pop culture. Le tout sur des tons toujours un peu décalés où couleurs et techniques de traits s’entremêlent. Le monde d’Olivier Vérin alias « Yéyé », se dessine, se tatoue, se crayonne. Un univers multiple et profond qui ne se saisit pas au premier regard et se lit dans tous les sens. « Une image doit être ambivalente, si je passe du temps à faire un dessin, il faut aussi que l’on passe du temps à le regarder. »

Une philosophie que l’artiste graphique applique religieusement dans son art qu’il a développé de ses doigts de fée où l’on peut lire « Sale Punk » tatoué à l’encre noire. « En dessin comme en tatouage, j’aime travailler à la commande, cela crée du challenge, car je réponds aux demandes en créant de la surprise, en ajoutant une petite touche « Yéyé » unique. C’est ainsi que mon art m’a toujours fait vivre, en travaillant avec la communauté. »

Quand il tatoue, ses yeux brillent, l’énergie se transforme, ses mains suivent un rituel. Et sur le papier, sur les écrans et sur la peau, les dessins d’Olivier insufflent de la vie.

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