Florette Morand, poétesse guadeloupéenne

À la redécouverte de la poétesse guadeloupéenne Florette Morand

Rencontrer Florette Morand c’est, nous dit Christian Chéry, professeur de lettres, partir à la rencontre de la « Guadeloupe qui éclot au 20e siècle au sortir de la société des plantations qui avait eu pour matrice l’esclavage et qui éprouve des difficultés à entrer dans la modernité ». Florette Morand est un témoin de ce temps-là : les années 1950 où le débat fait rage entre « les tenants d’une vision enchanteresse des Antilles heureuses et les partisans tant de l’assimilation que de ceux de l’autonomie ». Sa poésie qualifiée (un peu trop vite ?) de doudouiste la pousse vers l’exil. L’Italie dont elle ne reviendra jamais et où elle meurt en 2019. Alors qui était Florette Morand, incomprise chez elle et traduite ailleurs, quelle place a aujourd’hui son œuvre dans le paysage littéraire de la Guadeloupe ? Texte Willy Gassion – Photo Cédrick-Isham Calvados – Illustration Orane Phedon 

Poétesse, intellectuelle engagée, mariée au Comte Aldo Capasso, poète et éditeur italien, qui était Florette Morand ? 

Christian Chéry : Florette Morand est une poétesse née à Morne-à-l’Eau en 1926. Elle a vécu à une époque charnière du 20e siècle avec le passage d’une société qui venait de célébrer le tricentenaire de la colonisation à une loi, en 1946, qui déclarait l’assimilation des vielles colonies et la départementalisation. Elle a quitté la Guadeloupe dans les années 1970 pour vivre en Italie jusqu’à son décès.

Les trois recueils de Florette Morand sont comme des jalons d’une expérience d’écriture et d’une avancée dans une forme qui lui est propre. En proposant une perspective cavalière nous pourrions dire que Mon cœur est un oiseau des îles, (Paris, Éd. La Maison des intellectuels, 1954) constitue une entrée en poésie. Le deuxième recueil est nettement plus ambitieux, Chanson pour ma savane, (Paris, Librairie de l’Escalier, 1958). Cette œuvre privilégiera le rapport à la musique et s’accordera aux thématiques plus légères, descriptives empreintes d’une réflexion personnelle. Enfin avec Feu de brousse, (Montréal, Éd. du jour, 1967), on pourra dire que ce recueil constitue une œuvre de la maturité. 

Sa poésie qualifiée de doudouiste par les critiques français, est-ce un faux procès, y a-t-il un malentendu Florette Morand ? 

Il faut bien comprendre que la qualification de doudouiste n’est pas celle des critiques français, mais bien des lecteurs guadeloupéens et martiniquais qui assignaient une responsabilité particulière aux écrivains du pays Guadeloupe. D’autres qualificatifs viennent parfois compléter cette première catégorisation : régionaliste, exotique, folklorique. Quand il est question de doudouisme, on trouve aussi une érotisation de la femme créole avec tout ce que cela comporte de préjugés. La lecture de la poésie de Florette Morand ne répond pas du tout à ces critères. Le reproche vient ici en creux pour dénoncer l’absence d’engagement manifeste, car commence à s’imposer l’idée de responsabilité de l’écriture en « Pays dominé ». On pourrait certes envisager les raisons pour lesquelles les critiques ont été si virulents à son égard. Certains poèmes en effet proposent une évocation d’un univers euphorique, fait de joies, de plaisirs, avec une forte présence des souvenirs grâce auxquels le paradis perdu pourrait être restauré. Florette Morand assume pleinement ces choix lorsqu’elle s’exclame dans ce vers : « Chantons joyeusement Karukera la belle ». Il n’en demeure pas moins que cela ne permet en rien de valider cette stigmatisation.

« Le reproche vient ici en creux pour dénoncer l’absence d’engagement manifeste, car commence à s’imposer l’idée de responsabilité de l’écriture en « Pays dominé ». »

Pourquoi faut-il lire Florette Morand ? 

On a pu dire de la poésie de Florette Morand qu’elle était d’une grande simplicité, et si ce jugement était énoncé pour en célébrer la forme, pour certains critiques c’était une façon d’en minorer la portée. Cette poésie est beaucoup plus riche que ce que l’on envisage par une lecture superficielle. La poétesse n’a cessé de travailler sa forme, elle n’a cessé de réécrire sur les mêmes sujets, elle n’a cessé d’interroger son environnement proche et les lieux lointains qui ont nourri son imaginaire. Ce faisant elle a approfondi son écriture, l’a densifiée, lui a donné de plus en plus de complexité. Elle a aussi multiplié les tonalités passant de la description émerveillée, au regard inquiet et sensible. Elle n’a pas négligé de voir au-delà de l’apparence des choses et des sentiments attendus. En outre, ce qui fait la grande qualité de cette poésie, c’est la musique, la relation avec la simplicité de la chanson. Relisons la poésie de Florette Morand d’abord dans une démarche de réappropriation de notre patrimoine littéraire, ensuite pour renouveler le regard sur notre lieu, voire pour nous réconcilier avec nous-mêmes.

« Relisons Florette Morand pour renouveler le regard sur notre lieu, voire pour nous réconcilier avec nous-mêmes. »

Christian Chéry participe à Florette Morand dans le temps et l’espace guadeloupéens, ouvrage collectif coordonné par Franck Garain – Ed. Nèg mawon et Centre d’Etudes et de Recherches sur Morne-à-L’Eau et sa région. 

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