Maisons en bois du bourg de Pointe-Noire en Guadeloupe

Balade dans Pointe-Noire, à l’écoute du temps

On traverse son bourg le temps d’un lent clin d’œil mais ne croyez pas qu’il ne s’y passe rien. Tout s’y passe. Le temps y a construit une demeure et les gens font corps avec. C’est de cet air du temps que se nourrit Benjamin Kamoise, 75 ans, « le dernier des Essentiers » de la Guadeloupe. Il nous parle de sa ville, de son cœur et de ses temps. Au cours de notre balade, nous irons faire une halte fraîcheur à Notre-Dame des Larmes, dans les hauteurs de la section des Plaines. En redescendant, en fin d’après-midi, nous croiserons un groupe de personnes qui fabriquent du charbon, dans la rue de Carlos, aux Plaines. Texte et photo Cédrick-Isham Calvados 

Benjamin Kamoise, essentier
Benjamin Kamoise, 75 ans, « le dernier des Essentiers » de la Guadeloupe

« C’est ici que je suis né dans le quartier d’Acomat, c’est ici que j’ai grandi et c’est ici que je vis. Je n’ai jamais quitté Pointe-Noire. Dans ma jeunesse, je me souviens que le bourg et la campagne étaient fortement boisés. Le travail ne manquait pas. La plupart des emplois tournait autour du bois : scieurs de long, essentiers, par exemple.

Avec ma famille on habitait à Galette et l’école n’était pas loin. Comme beaucoup d’enfants à l’époque, je m’y rendais à pied et j’avais la chance qu’elle ne soit pas trop loin de chez moi.

J’allais dans le bourg le dimanche pour la messe dominicale, et le jeudi également pour les cours de catéchisme. Je faisais la route avec mes camarades, et sur la route on jouait parfois à lancer des cailloux dans les cocotiers pour essayer d’en attraper, on allait aussi manger des raisins en bord de mer, on mangeait aussi des cerises qu’on pouvait trouver en chemin ainsi que des merisiers. Quand la saison des mangues arrivait, on allait à la rivière pour en cueillir. C’était la belle vie. Elle ne manque pas, par contre. Je suis fier de ce que j’ai vécu mais il faut laisser place à la modernité aussi.

« J’ai connu tous les visages de Pointe-Noire et je les ai tous aimés. »

Pointe-Noire était aussi réputée pour sa fête du 15 août. Les gens descendaient dans le bourg pour faire la fête. Il n’y avait pas d’électricité auparavant et on accrochait des fanals, des lampes à pétrole, dans les poteaux.

La ville a bien changé, je me souviens de la rivière Caillou dans le bourg, par exemple. Sous le pont il y avait un grand bassin où on pouvait plonger mais à force de déplacer les roches et à force de travaux, il a disparu. La plage Caraïbes aussi a un peu changé. Elle était plus boisée avant. Il y avait aussi tous les pêcheurs qui venaient déposer leurs embarcations sur la berge. Cela se fait moins maintenant. J’ai connu tous les visages de Pointe-Noire et je les ai tous aimés. »

La rivière Caillou qui se jette dans la mer

Une halte à Notre-Dame des Larmes

« Moi, je crois en Dieu, alors mes salutations à Marie. » C’est sur ces mots que nous quittons monsieur Kamoise avant de nous rendre sur le site de Notre-Dame des Larmes en plein milieu d’après-midi. Le soleil commence à entamer sa descente. Quelques personnes du coin et des touristes sont venus y chercher un peu de fraîcheur mais pas que…

Au pied de la vierge, un couple à genoux est en pleine prière. Une famille prend le relais. Nous les approchons. Ils nous livrent leur expérience. « Moi, j’ai toujours vu ma mère venir ici depuis toute petite », nous dira la femme. « Revenir ici, c’est une façon d’honorer la mémoire de ma mère mais c’est aussi un lieu où je me sens bien. J’y ressens de la paix. Je n’y viens pas tout le temps mais chaque fois que je prends le temps, ça me fait du bien. » Le mari, est un peu plus affirmatif. « Quand on vient ici, il faut vraiment venir avec la foi. Si on vient ici pour la curiosité seulement, rien ne se passe. Si on veut obtenir ce qu’on demande, il faut avoir la foi et respecter Dieu. Il faut faire les choses bien ! »

Notre-Dame
Notre-Dame des Larmes

Monsieur Pradel et sa consommation de charbon

Alors que nous reprenons la route en direction de la plage Caraïbes, résolus à repartir de Pointe-Noire avec un coucher de soleil à contempler, nous croisons un petit groupe composé de trois femmes et de monsieur Pradel. Quand nous lui demandons sa permission pour prendre quelques photos en précisant que nous ne prendrons pas les visages, il répond fermement : « Si on accepte c’est pas à moitié. Soit on prend les visages ou soit on prend pas de photos ! » Puis, d’un air malicieux avec un petit sourire, il ajoute : « Je peux garder ma sucette, hein ? » Monsieur Pradel fait du charbon. Après avoir vécu de cette activité, il a décidé de ne plus en vendre mais d’en utiliser uniquement pour sa consommation personnelle.

Monsieur Pradel et des habitantes de Pointe-Noire en Guadeloupe, produisant du charbon

« Le charbon c’est l’une de ces choses plus faciles à faire mais en même temps ça demande de la patience. Premièrement, il faut aller chercher le bois dans la forêt. Cependant tu ne peux pas utiliser tous les bois. Ensuite tu les coupes, tu les rassembles sur tes palettes, tu y mets ta paille que tu fais avec des “zèb razyé” et tu les mets sur le feu que tu recouvres du mélange de terre et poussière des tournées précédentes. Un fois sur le feu, tu dois veiller à ce qu’il n’y ait pas de trou d’air dans ce tapis de poussière sinon tu risques de perdre tout le fruit de ton travail. Il faut que cette couche de poussière soit compacte et homogène pour garder la chaleur nécessaire et que le bois ne s’embrase pas complètement. Il faut veiller nuit et jour. Quand c’est bien fait, ça peut chauffer comme ça pendant plusieurs semaines, ou des mois, si tu veux. C’est toi qui décides ! Et puis tu sais le charbon c’est bon pour la peau aussi. Quand je prends ma douche après une journée passée dans le charbon, ça me donne une belle peau. »

Quand nous lui demandons s’il a autre chose à ajouter, sa femme le reprend : « Il faut faire attention aux lunes ! ». Il complète : « C’est vrai que tu ne peux pas faire n’importe comment, il faut respecter le cycle des lunes sinon tu vas faire des tous petits copeaux ». L’âge ayant pris le pas sur sa volonté, il ne se voit pas continuer l’année prochaine et souhaite transmettre son savoir. D’ailleurs avant de partir, il nous propose de reprendre l’activité. Mais bien évidemment, vous ne saurez jamais ce que nous lui avons répondu…

Fin de journée sur Pointe-Noire à la plage Caraïbes

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