scène cinéma antillais

Man Tine, Régina, Elia et les autres… Le cinéma antillais, un cinéma fémifocal ?

Il apparaît que la maxime selon laquelle « sans les femmes, les hommes ne sont rien » semble plus vraie encore dans ce cinéma qu’ailleurs…   

-Texte Guillaume Robillard- 

L’incontournable mère créole 

L’un des premiers constats est l’absence quasiment systématique du père (ou du mari) dans le cinéma antillais. Que ce soit dans Coco Lafleur, candidat (Christian Lara, 1979), premier long-métrage antillais commercialisé, dans Mamito (Christian Lara, 1980) ou encore dans l’incontournable Rue Cases-Nègres (Euzhan Palcy, 1983), et plus récemment Nord-Plage (José Hayot, 2003) ou 30° couleur (Lucien Jean-Baptiste, 2012), les pères sont tout juste évoqués mais ne sont à aucun moment incarnés.

Et quand les pères sont présents, ils sont à-quoi-dire fantomatiques. Dans les deux seuls films où ils sont en première ligne, ils sont de toute évidence inopérants.

Ainsi, dans Siméon (Euzhan Palcy, 1992), dans lequel la réalisatrice fait le choix du contre-pied en mettant en scène un père veuf (Jacob Desvarieux) qui s’occupe de sa fille, ce dernier s’avère dans la relative incapacité de s’occuper correctement de celle-ci.

Il en ira de même dans Tèt grenné (Christian Grandman, 2001) dans lequel Roland est un alcoolique à l’allure débraillée qui ne semble pas en mesure de prendre des décisions par lui-même…

Et quand les pères se révèlent c’est toujours à la toute fin du film. Dans Nèg Maron (Jean-Claude Barny, 2005), le père du protagoniste, après avoir été réduit pendant une heure de film à la figure du saoulard au lolo du coin, assume de nouveau sa fonction parentale en déclarant solennellement aux amis de son fils, que « son père l’attend à la maison ».

Dans Retour au pays (Julien Dalle, 2010), le père, également présent dans la structure familiale, d’un mutisme constant, portera assistance à son fils sur son lit d’hôpital dans les dix dernières minutes du film.

Enfin, dans Rose et le soldat (Jean-Claude Barny, 2016), toujours à la fin de l’histoire, c’est en protégeant Rose d’une ratonnade que son père (Pascal Légitimus) décède sous les coups : Octave meurt d’être devenu père. Ou le difficile avènement de la figure paternelle.

Face à ces personnages masculins, se dressent de truculents portraits de femmes poto-mitan dont l’un des plus aboutis est la grand-mère du jeune José, Man Tine (interprétée avec génie par Darling Légitimus) dans Rue cases-nègres.

Femmes toujours vaillantes, et chez qui la faiblesse ne semble pas être une option…

Femmes-debout, entre passé et présent

Pour autant, l’importance de la figure féminine ne saurait se résumer à la mère créole

Guadeloupe. 1802. Dans Vivre libre ou mourir (Christian Lara, 1981), Marthe-Rose, présentée comme étant la compagne du légendaire Commandant Ignace, répond nettement à la Cour qui l’interpelle : « Je ne suis pas française. » . Après que le procureur a répondu que « les Antilles, c’est français », elle rétorque en désignant ses fesses : « Et ça ? C’est français ? » .

Elle est, par le caractère vif de sa réponse, le seul témoin à la barre au côté de Victor Schoelcher (ce qui la place au haut rang des combattants pour la Liberté) à tenir tête au Procureur.

Dans 1802, l’épopée guadeloupéenne (2004), troisième film du tryptique de Christian Lara sur la « guerre de Guadeloupe » (après Vivre libre ou mourir et Sucre amer), une séquence de bataille voit des soldats napoléoniens être défaits par des femmes combattantes menées par la légendaire Mulâtresse Solitude.

Sur toute la durée du film qui compte un certain nombre de scènes de bataille, il s’agit de celle dont la victoire est la plus éclatante.  

Martinique. Années 1940. Dans Le sang du flamboyant (François Migeat, 1981), film qui conte la geste d’un nègre marron historique qui fit courir les gendarmes de la Martinique de 1942 à 1949, Albon ne saurait résister sans l’indéfectible soutien d’Élia qui le fournit en vivres, armes et amulettes protectrices. La femme occupe également une place centrale dans les films de Guy Deslauriers.

Dans L’exil du roi Béhanzin (1994), c’est l’amour que le roi africain Ahydjéré, en « exil » forcé en Martinique sous surveillance de l’armée française, porte à une lavandière métisse du nom de Régina (interprétée par l’incontournable France Zobda) qui le sensibilisera aux processus de métissage culturel créole, « impur » au regard de sa cour.

Cette puissance motrice féminine remonte au « Pays d’Avant », à savoir l’Afrique : dans Passage du Milieu (2000), la femme devient l’incarnation même du continent africain : « Tu es la mère à qui on ravit ses enfants. De toutes nos Afriques, tu es la plus réelle. », dit la voix-off anonyme d’un esclave à fond de cale…

Femmes de plus en plus « profondément » protagonistes

Les femmes deviennent dans les films plus récents plus « profondément » protagonistes. Ainsi, dans Rose et le soldat (2016), film qui se déroule en Martinique pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est bel-et-bien Rose (Zita Hanrot) qui est au cœur du film.

Dans Joséphine (Christian Lara, 2013), la femme est protagoniste à deux titres : le personnage principal (au passé) est Joséphine de Beauharnais, épouse de l’Empereur Napoléon Ier qui fit rétablir l’esclavage, tandis qu’au présent c’est une jeune étudiante qui fait des recherches sur la vie de ce célèbre personnage historique.

Dans Le bonheur d’Elza (2012), on suit le parcours d’une jeune femme qui décide de partir pour la Guadeloupe afin d’y rencontrer son père qu’elle ne connaît pas.

Enfin, quant à l’unique film d’animation du cinéma antillais, Battledream Chronicle (Alain Bidard, 2015), le personnage principal est une femme, Syanna, qui affrontera les plus grands joueurs du jeu virtuel mondial le « Battledream » afin d’assurer la survie de sa nation.

Dans ce cinéma fait par des hommes (à la triple exception d’Euzhan Palcy, de Mariette Monpierre et de Caroline Jules), plus que jamais, le pouvoir est aux femmes.

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